
Pour lutter contre le fort taux de chômage des Saoudiennes, le royaume d'Arabie saoudite a autorisé la construction d’un complexe industriel où seules les femmes pourront travailler.
Mettre à l'écart les femmes pour mieux les "affranchir". L’idée peut sembler saugrenue, elle est pourtant en passe de devenir réalité depuis que l’Arabie Saoudite a autorisé la construction de la première cité industrielle entièrement dédiée aux femmes à Al-Ahasa près de Hofuf, dans l'est du pays.
Ce complexe industriel, qui devrait sortir de terre début 2013, doit créer près de 5 000 emplois qui concerneront essentiellement les industries textile, pharmaceutique et agroalimentaire. Les femmes seront à des postes d’exécution comme les lignes de fabrication mais elles auront aussi la possibilité de créer leurs propres entreprises.
À l'initiative du projet, des Saoudiennes, dont la femme d'affaires Hussa al-Aun qui, dans une interview au journal économique "Al Eqtisadiah", explique que "c’est essentiel pour réduire le chômage parmi nos diplômées femmes".
"La ville n'est pas fermée aux hommes"
“Je suis persuadé que les femmes peuvent prouver leur efficacité et opter pour les emplois qui conviendront au mieux à leurs intérêts, leur nature et leurs facultés", affirme dans un communiqué Salah al-Rasheed, directeur général de l’autorité responsable du développement industriel de l’Arabie Saoudite, le Modon. Pour faciliter le déplacement des femmes jusqu'à leur lieu de travail, le site sera localisé non loin des quartiers résidentiels de Hofuf.
Si cette cité industrielle est dédiée au deuxième sexe, les autorités se défendent pourtant de vouloir en faire un no man’s land masculin. "La ville n’est pas fermée aux hommes ou réservée aux femmes ", nuance le Modon qui indique que seule une partie du site sera dédiée aux femmes, loin des regards masculins.
Les Saoudiennes, des sujets de seconde zone
L'objectif du projet semble pourtant moins nuancé : assurer l’indépendance financière de 15 % de la population active tout en respectant le sacro-saint apartheid sexuel instauré par cette monarchie ultra-conservatrice du Golfe où les règles strictes de la charia régissent le quotidien des femmes, considérées comme des sujets de seconde zone, y compris dans le monde du travail.
Aujourd'hui, 26,9% d'entre elles sont au chômage, soit quatre fois plus que les hommes. Une situation qui peut s'expliquer par le fait que certaines entreprises privées exigent pour les employer qu’elles soient célibataires ou qu’elles n’aient pas d’enfant si elles sont mariées. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, créer une cité industrielle réservée aux femmes est donc une avancée. Elles pourront désormais travailler.
Si l'apartheid sexuel saoudien ne vit pas ses dernières heures, le changement semble inéluctable. "Les réalités et nécessités économiques obligeront la société à changer sa perception du travail des femmes parce que la situation est désormais intenable", analyse un diplomate installé à Riyad dans les colonnes du "Financial Times".
Le roi Abdallah amorce le changement
Le Printemps arabe est aussi passé par là. S’il n’a pas ébranlé l’Arabie Saoudite, il a néanmoins démuselé la société civile. Les femmes sont déterminées à défendre leurs droits. Depuis juin 2011, le mouvement Women2drive milite ainsi pour que les Saoudiennes puissent prendre le volant. Aucune loi ne leur interdit formellement de conduire mais les autorités se fondent sur une fatwa, un édit religieux, dans lequel de puissants religieux se disent opposés à ce droit. Une façon de plus de les exclure de l’espace public et de justifier l’apartheid des genres. Mais les Saoudiennes ne désarment pas. En juin 2012, Women2drive a remis une pétition au roi Abdallah pour obtenir ce droit et au-delà, aller vers plus d’égalité.
Un combat soutenu par de nombreuses ONG qui ne cessent de critiquer le royaume wahhabite. Face à cette pression, en septembre 2011, le roi Abdallah a ainsi accordé le droit de vote aux femmes aux élections municipales, dès 2015.
Ainsi, une révolution, aussi timide soit-elle, semble en marche. Depuis juillet, les magasins de cosmétiques et parfumeries, autrefois tenus par des hommes, ont laissé place à des vendeuses en vertu d’un décret gouvernemental. Au début du mois d’août, le ministre du travail a même obligé un supermarché de La Mecque à reprendre des caissières qui avaient été licenciées, sous contrainte de la police religieuse.
Postes réservés, zone industrielle dédiée... l'Arabie Saoudite facilite plus que jamais l'accès de ses sujettes au travail.
Le poids des traditions et des religieux
Reste que dans ce royaume séculaire, les préjugés ont toujours la vie dure. Le plus gros challenge est sans doute de convaincre les familles de laisser les femmes entrer dans la vie active. Selon une étude de Glowork and Alwane, site internet d’emploi réservé aux femmes saoudiennes, citée par le Financial Times, 25 % des femmes estiment que les pressions de la famille les empêchent de postuler à des offres dans la distribution.
Quant aux instances religieuses, elles pèsent de tout leur poids pour empêcher cette libéralisation de la société. Le Comité permanent des recherches scientifiques et de la délivrance des fatwas, Dar Al-Ifta, a affirmé en novembre 2010 qu’il n’était pas permis aux femmes "de travailler dans des endroits où elles peuvent se trouver avec des hommes" mais aussi qu'elles devaient "rechercher des emplois où elles ne peuvent pas être attirées par les hommes ni les attirer".
Plus récemment, la présence d’une délégation de Saoudiennes aux Jeux olympiques de Londres, une première, a provoqué l’ire des religieux. La participation de Wojdan Ali Seraj Abdulrahim Shahrkhani à l'épreuve de judo a été vivement condamnée. Bien qu’ayant concouru la tête couverte d’un bonnet de bain à défaut d’un foulard, ils ont estimé qu'elle s'était déshonorée en se battant devant des hommes.
Les Saoudiennes n'ont pourtant pas l'intention de s'arrêter là : quatre autres projets de cités industrielles similaires à celle d'Al-Ahasa sont d’ores et déjà en préparation. À terme, un réseau entier de sites industriels réservés aux femmes pourrait voir le jour à travers le royaume.