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La Jordanie, entre soutien humanitaire aux réfugiés et prudence vis-à-vis de Damas

Alors que la guerre fait rage en Syrie, la Jordanie est devenue une terre d'asile pour les Syriens. Très engagé sur le plan humanitaire, Amman veille toutefois à ne pas prendre ouvertement position pour l'opposition syrienne.

Limitrophe de la Syrie, la Jordanie a vu arriver, depuis mars 2011, un afflux de Syriens qui fuient les violences dans leur pays. Dans un premiers temps, la majorité des réfugiés venait de la ville de Deraa, berceau de la contestation située à quelques kilomètres de la frontière. Mais aujourd’hui, c’est de toute la Syrie qu’ils tentent de rejoindre le royaume hachémite. Depuis près d'un mois, le Haut commissariat de l’ONU aux réfugiés (UNHCR) a relevé un accroissement important du nombre de réfugiés syriens dans les pays limitrophes de la Syrie et notamment en Jordanie.

Amman, qui avait déjà accueilli des Palestiniens lors des différentes guerres israélo-arabes et plus récemment de nombreux Irakiens après l’invasion américaine en 2003, doit aujourd’hui gérer plus de 150 000 réfugiés syriens, selon ses propres dires, qui se sont réfugiés sur son sol.

Un camp aux conditions de vie difficile

Ils ont pour la plupart d’abord été accueillis chez des proches ou des familles volontaires, d’autres se sont regroupés dans des espaces publics comme des parcs, des stades ou encore des écoles. Mais l’augmentation du nombre de réfugiés a poussé les autorités jordaniennes à établir des structures dédiées.

C’est ainsi qu’à été ouvert le 29 juillet le camp de Zaatari, prévu pour accueillir jusqu’à

150 000 personnes. Situé en plein désert, à quelques kilomètres de la ville de Ramtha au nord de la Jordanie, il abrite aujourd’hui 6 000 réfugiés.

Mais peu après son ouverture, des voix se sont élevées pour critiquer les conditions de vie du camp. Les premiers réfugiés se sont en effet plaints de la chaleur, de la poussière et du manque d'électricité et de moyens de communication.

Nicolas Baker, l'envoyé spécial de FRANCE 24 en Jordanie, s'est rendu dans le camp de Ramtha. Il évoque des conditions de vie très difficiles. "Le camp a été monté en urgence quand l’afflux de réfugiés est devenu trop important, c’est pour ça qu’il y a des tentes, alors que ce n’est pas forcément l’idéal dans ces conditions climatiques, explique-t-il. Le plus pénible reste le problème de la poussière, transportée par le vent qui souffle sans cesse." Il ajoute que beaucoup de personnes portent des masques pour se protéger des particules de sable qui s’engouffrent dans les voies respiratoires.

Lundi 13 août, des heurts ont opposé un groupe de Syriens mécontents de leurs conditions de vie aux gardes jordaniens du camp. "Le ton est monté, explique Nicolas Baker. Un groupe de jeunes réclamait de pouvoir sortir du camp." Or les réfugiés ne peuvent pas quitter le camp à leur guise : ils doivent bénéficier du parrainage de citoyens jordaniens prêts à les accueillir.

Pour le Dr Gilbert Pottier, directeur des opérations internationales de l’ONG Médecins du monde, le problème est que "75% des réfugiés sont des femmes et des enfants qui ont fui les combats et ont pour la plupart tout perdu. Ils ne s’attendaient pas, après avoir passé plusieurs jours en chemin, au choc de se retrouver sous des tentes au milieu du désert".

De leur côté, les autorités jordaniennes et l’ONU indiquent faire de leur mieux pour faire face au flux de réfugiés. Un flux toujours plus nombreux : "Entre 600 et 800 personnes passent la frontière tous les jours", affirme Nicolas Baker. Le ministre jordanien de l'Information, Samih Maayatah, a indiqué cette semaine que les tentes du camp seraient remplacées d'ici peu par des caravanes.

Position inconfortable

La Jordanie, si elle reste prudente sur le plan politique, est depuis plusieurs mois très active sur le plan humanitaire. "Jusqu’à maintenant, les autorités jordaniennes prenaient les blessés en charge dès la frontière et les emmenaient vers des hôpitaux où ils étaient soignés et opérés", relate ainsi Gilbert Pottier.

Aujourd’hui, la Jordanie voit avec soulagement la communauté internationale se mobiliser pour l’épauler. Paris a ainsi envoyé une équipe médicale et a établi un hôpital de campagne. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada et l'Allemagne ont versé 135 millions de dollars pour faire face à la crise.

"Beaucoup d’ONG étaient également présentes sur place bien avant l’ouverture du camp", rapporte Gilbert Pottier. "Comme on ne peut pas entrer en Syrie, les ONG agissent aux frontières et avec l’aide d'un réseau de docteurs syriens", explique le médecin qui, début 2012, se trouvait dans la ville de Ramtha où Médecins du monde avait déjà établi un dispensaire de fortune.

La Jordanie est ainsi devenue une véritable terre d’asile pour les Syriens, ce qui ne va pas sans difficultés. "L’afflux de réfugiés syriens crée indéniablement un déséquilibre économique et démographique pour la Jordanie", estime Khattar Abou Diab, consultant en géopolitique et enseignant à l’université Paris-Sud.

Mais le royaume hachémite ne se contente pas de faire de l'humanitaire. Il accueille également des hauts responsables ayant fait défection, comme dernièrement le Premier ministre syrien Riyad Hidjab. Des dirigeants internationaux se rendent également à Amman pour aborder le conflit syrien avec le roi Abdallah. Ainsi, le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, entame le 15 août en Jordanie une tournée des pays voisins de la Syrie, et abordera notamment la question des réfugiés.

Une position pour le moins inconfortable pour le roi Abdallah vis-à-vis de Damas. Pour Khattar Abou Diab, "le roi de Jordanie danse sur une corde raide, surtout depuis le début du conflit, et tente de jouer le jeu de l’équilibriste. Mais avec la recrudescence des massacres et la violence meurtrière du régime syrien, il tend a adopté une position plus audacieuse, sans pour autant s’aligner sur l’opposition ou prendre clairement position". Pour le souverain jordanien, il s’agit donc à la fois d’agir sur le plan humanitaire et sur la scène diplomatique internationale tout en préservant ses intérêts, c'est-à-dire l’unité du pays.