
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou veut étendre l’obligation d’effectuer un service militaire ou civil aux ultra-orthodoxes et aux Arabes israéliens. Une décision qui divise le pays.
Le compte à rebours a commencé pour Benjamin Netanyahou. D’ici au 1er août, le Premier ministre israélien doit faire adopter une loi sur la délicate question de la conscription pour les juifs ultra-orthodoxes, remettant ainsi en cause le compromis historique entre les fondateurs laïques de l’État hébreu et les représentants du judaïsme traditionnel.
La "loi Tal", qui permettait aux juifs ultra-orthodoxes - les haredims ("craignant Dieu") -, et à la minorité arabe d’échapper au service militaire a été jugée inconstitutionnelle par la Cour suprême israélienne et doit être remplacée d’ici au 31 juillet.
La question de la conscription est particulièrement sensible en Israël où un service militaire de trois ans pour les hommes, deux ans pour les femmes, est obligatoire. La coalition au pouvoir est tiraillée entre les partis religieux, alliés traditionnels de Netanyahou et partisans du statu quo, et les partis séculiers favorables à un "service militaire pour tous".
"Marre d’être pris pour des cons"
Le Premier ministre israélien est également sous la pression d’une vague de colère populaire sans précédent. Le week-end dernier, près de 20 000 Israéliens ont manifesté à Tel Aviv contre ce qui est perçu comme un privilège octroyé à la communauté ultra-orthodoxe aux cris de "marre d’être pris pour des cons" et "un peuple = une conscription".
"Il y a un ressentiment au sein de la majorité de la population lié au fait que les personnes exemptées ne participent pas au sacrifice et au deuil des familles de soldats, qui sont des éléments centraux de l’expérience israélienne", décrypte Natan Sachs, spécialiste de politique israélienne au centre de recherche Brookings Institution à Washington.
L’exemption de service militaire pour les ultra-orthodoxes remonte à la fondation de l’État hébreu, à la fin des années 40. Le Premier ministre de l’époque, David Ben Gourion, avait accepté de dispenser les étudiants en religion de service militaire. Il s’agissait alors de permettre la renaissance d’une tradition millénaire d’étude des textes sacrés, mise à mal par l’holocauste.
Soixante ans plus tard, la communauté ultra-orthodoxe compte 700 000 individus et représente près de 10 % de la population israélienne. Refusant de travailler pour se consacrer entièrement aux études religieuses, ils forment une communauté paupérisée vivant largement des subventions de l’État.
Les haredims, "une société à part"
Le système politique israélien est régi par un système de représentation proportionnelle, ce qui multiplie le nombre de petits partis politiques. La Knesset, le Parlement, compte 120 sièges.
COALITION AU POUVOIR – 94 sièges
Likoud (droite nationaliste) : 27 sièges
Kadima (centre droit) : 28 sièges
Yisrael Beitenou (ultrantionaliste et laïc) : 15 sièges
Shas (sépharade, sioniste, ultra-orthodoxe) : 11 sièges
Parti de l’Indépendance (parti créé par Ehud Barak après son départ du parti travailliste) : 5 sièges
Judaïsme unifié de la Torah (ashkenaze, anti-sioniste, ultra-orthodoxe) : 5 sièges
Parti national religieux (colons juifs, nationaliste, religieux) : 3 sièges
OPPOSITION - 26 sièges
Parti travailliste (gauche) : 8 sièges
Meretz (social-démocrate) : 3 sièges
Balad (arabe anti-sioniste) : 3 sièges
Hadash (communiste juif et arabe) : 4 sièges
Ra’am Ta’al (arabe anti-sioniste) : 4 sièges
Union nationale (extrème droite) : 4 sièges
Une dépendance vis-à-vis des services sociaux d’autant plus mal perçue par la population israélienne que les haredims ne se privent pas de dénigrer les laïcs qui n’adhèrent pas à leur ultra-conservatisme – ils prônent la ségrégation des sexes dans les bus publics ou des obligations de "modestie vestimentaire" pour les femmes.
Pour Idan Gazit, un informaticien de 33 ans vivant à Tel Aviv, les haredims forment quasiment "une société à part" : "Ils n’ont aucun rapport culturel avec les autres Israéliens ; même leur façon de parler et leurs manières sont incompréhensibles pour l’Israélien moyen".
Les haredims sont régulièrement accusés de profiter du système. Mais les partis ultra-orthodoxes assurent en revanche que les études religieuses en elles-mêmes sont cruciales pour la défense de l’État d’Israël.
Pour Natan Sachs, les leaders haredims s'inquiètent en réalité d’une éventuelle "corruption des esprits" des membres de leur communauté. La conscription a toujours eu un rôle d’intégration dans la société israélienne, en permettant à des juifs d'origines diverses de se mélanger et de tisser des liens voués à persister au-delà des années de service militaire.
"Les ultra-orthodoxes ont peur que leurs jeunes soient exposés à des valeurs laïques qui pourraient remettre en cause leur mode de vie en vase clos", explique Sachs. "Mais si les ultra-orthodoxes rejoignaient l’armée, puis se mettaient à travailler, cela permettrait d’abattre les barrières qui séparent les différentes communautés juives en Israël".
Une meilleure intégration des haredims à la société israélienne est précisément recherchée par de nombreux parlementaires, qui l’estiment cruciale pour le futur d’Israël en tant qu’État juif.
Service civil pour les Arabes israéliens
Après avoir longtemps hésité, Netanyahou a finalement opté pour un projet de loi imposant à tout Israélien un service militaire ou un service civil.
L’idée d’un service civil visait initialement à contourner les objections de la communauté israélo-arabe, qui rejette tout service militaire au sein de Tsahal. Un des leurs principaux représentants, le député Ahmed Tibi, a déclaré que les Arabes israéliens seraient prêts à partager le fardeau militaire le jour où Israël les traiterait sur un pied d’égalité avec les juifs israéliens.
"La plupart des Israéliens comprennent pourquoi les Arabes israéliens ne souhaitent pas servir dans l’armée", affirme Sachs. "Ils ont l’impression d’être délaissés par l’État et on ne devrait donc pas leur demander d’assumer les mêmes devoirs. Et puis il serait vraiment difficile pour eux, au niveau identitaire, de servir dans une armée qui se bat essentiellement contre d’autres Arabes."
Pour Abdel Fattah Talab Iskafi, 28 ans, vendeur à Jérusalem-Est contacté par téléphone, s’engager dans l’armée israélienne serait "une des pires choses" que l’Etat hébreu pourrait lui imposer : "C’est quasi-inimaginable de faire cela, et presque tous les Arabes israéliens vous diront la même chose."
En revanche, Iskafi serait d’accord pour prendre part à un service civil dans un hôpital israélien, un commissariat, ou une organisation issue de sa communauté. "S’il s’agit juste de relations avec d’autres personnes, qu’il n’y a rien de militaire, alors ce n’est peut-être pas une si mauvaise idée", affirme Iskafi, qui dit connaître de nombreux juifs israéliens autour de lui, sans toutefois avoir noué de réelles relations d’amitié.
Un sondage réalisé l’année dernière montrait que seulement 40 % des jeunes Arabes israéliens accepteraient l’idée d’un service civil en Israël. "Ce n’est pas facile pour nous de travailler avec les Juifs israéliens… On ne peut pas faire comme s’il ne s’était rien passé entre nous", déclare Iskafi.
Le gouvernement israélien s’oriente donc vers la création d’un service civil pour la minorité arabe et d’une extension de la conscription aux juifs ultra-orthodoxes, avec quelques aménagements. Mais certains Israéliens, comme Gazit, pensent qu’il serait même plus judicieux d’obliger les ultra-orthodoxes à effectuer un service civil, comme les Arabes israéliens, plutôt que s’engager dans l’armée. "Ça les mettrait en contact avec la société dont ils font partie", affirme Gazit. Puis il conclut, résigné : " Ça n’arrivera jamais. C’est toujours comme ça au Moyen-Orient, terre de statu quo".