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L'interdiction de la circoncision provoque l'embarras en Allemagne

La justice allemande vient d'interdire la circoncision des enfants, s'appuyant sur le droit fondamental de l’enfant à l’intégrité physique. Cette décision irrite les communautés juive et musulmane. Elle embarasse aussi le gouvernement allemand

Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris

"[Cette décision] m’inspire une ignorance totale des rites. La circoncision n’a jamais été dénoncée à cause de la souffrance et de la mutilation."

À Cologne, dans l’ouest de l’Allemagne, un tribunal a jugé, mardi 26 juin, que la circoncision d’un enfant pour des motifs religieux était une blessure corporelle passible de condamnation. Comblant un vide juridique qui permettait de tolérer jusqu’alors la circoncision à des fins non médicales, ce jugement a provoqué de vives réactions dans tout le pays. Notamment de la part des organisations religieuses mais aussi du gouvernement allemand.

L’affaire qui a déclenché la polémique remonte à 2010. À l’époque, la circoncision d’un enfant musulman de 4 ans entraîne des saignements, quelques jours après l’opération. Suite à des poursuites judiciaires, le médecin en charge de l’opération est condamné par le parquet de Cologne.

"Le droit fondamental de l'enfant à l'intégrité physique l'emporte sur les droits fondamentaux des parents", indique la décision de justice.

En France, la circoncision n’est pas officiellement interdite. Cependant, des poursuites pourraient être envisagées sur la base des deux articles suivants :

  • L’article 222-1 du code pénal, qui punit les violences ayant entraîné notamment des mutilations.
  • L’article 16-1 du code civil, sur le respect dû au corps humain.

Mais au-delà du rituel, c’est le fait de le pratiquer sur des enfants qui ne sont pas en âge de décider par eux-mêmes qui pose problème à la justice allemande. Ainsi, le tribunal de Cologne a précisé que "l’enfant [devait] décider plus tard par lui-même de son appartenance religieuse." L’ablation du prépuce pour des raisons médicales n’est pas concernée par l’interdiction.

Toutefois, cette priorité ne fait pas l’unanimité auprès des juifs et des musulmans.

L’ire des représentants religieux

La réaction des organisations musulmanes et juives ne s’est pas faite attendre. Ces dernières se sont insurgées contre une décision qui, selon le Conseil de coordination des musulmans en Allemagne (KRM), "criminalise" des coutumes islamiques et juives millénaires. Généralement effectué avant l’âge de 7 ans, ce geste signe l’entrée des pratiquants des deux religions dans la vie communautaire. Le conseil central des juifs d’Allemagne a, quant à lui, qualifié la décision d’"intrusion grave sans précédent".

Même l'Eglise évangélique allemande, a réagi en indiquant que "le droit fondamental de l'enfant à l'intégrité physique" devait tenir compte de la liberté religieuse et "du droit des parents à choisir l'éducation de leurs enfants".

Distance du gouvernement allemand

Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif)

"C’est tellement scandaleux que je n’imagine pas un instant qu’un tel jugement puisse devenir loi. La circoncision est pratiquée depuis la nuit des temps par les juifs et les musulmans et, au-delà du simple aspect religieux, est un acte médicalement reconnu pour ses vertus préventives. Il permet de contenir l’épidémie de sida, notamment en Afrique, et réduit les risques de cancer de l’utérus chez les femmes."

Au milieu de ce concert d’indignations, Guido Westerwelle, le ministre allemand des Affaires étrangères, s’est attaché à rappeler, le 28 juin, l’ouverture de son pays en matière de religion. "L’Allemagne est un pays tolérant, sans préjugés, où la liberté religieuse est solidement établie et où les traditions comme la circoncision sont considérées comme une expression du pluralisme religieux," a commenté le chef de la diplomatie.

Faisant partie des adeptes de la pratique, la communauté musulmane allemande est constituée en très grande partie d’individus d’origine turque. La Turquie a d’ailleurs souligné, par la voix de son ministre chargé de l’Europe, que la circoncision relevait de la liberté de conscience.

"Beaucoup de familles turques préféraient déjà célébrer cet évènement en Turquie, dans une ambiance festive," explique Anne Mailliet, correspondante de FRANCE 24 à Berlin. "Suite à la décision de justice, cette tendance devrait être renforcée." Pour sa part, Ali Demir, président de la communauté musulmane de Cologne, a redouté la mise en place d’un "tourisme de la circoncision" vers les pays voisins de l’Allemagne.