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, envoyée spéciale en Egypte – A la campagne où vit 75% de la population, les idéaux révolutionnaires de la Place Tahrir sont loin du quotidien. Reportage à Edwa et Ibrahimia, d’où sont respectivement natifs les deux candidats du second tour de la présidentielle.

A 100 kilomètres à l’ouest du Caire, c’est une autre Egypte qui s’offre au visiteur : des routes défoncées et poussiéreuses, des charrues tirées par des ânes circulant au milieu des voitures, des immeubles inachevés où du linge suspendu laisse penser qu’ils sont habités, des petites parcelles de terre cultivées ici et là de façon archaïque… A l’approche d'Al Zagazeg, capitale de la région de Sharqia, l'impression de capharnaüm est de plus en plus grande.

A Edwa, le portrait de Mohammed Morsi, candidat des Frères musulmans, natif du village, est visible partout : posters sur les murs, banderoles aux fenêtres et au-dessus des routes. Dans ce village de 3 000 habitants, 80% des électeurs ont voté pour lui.

"Il est juste. Il est avec nous et il comprend nos préoccupations. Il n’est pas dans ces cercles riches et corrompus du pouvoir, coupés du peuple" lance Hassan, un agriculteur au visage buriné qui gagne 1000 livres (230$) par an. "Avec les Frères Musulmans, ça va aller mieux parce qu’ils ont promis qu’ils nous aideraient".

"Ahnada project", "projet de croissance" : tel est le slogan inscrit sur l’affiche du candidat Morsi qui a de quoi faire rêver tous ces "exclus" de l’ère Moubarak. "Il [Moubarak] ne s’est jamais intéressé à nous", poursuit Hassan. "L’eau coûte 30 livres par semaine, les engrais 330 par an, les intermédiaires sur les marchés nous ruinent. Morsi a promis que l’eau serait gratuite, qu’il y aurait des aides pour les fertilisants et que nos récoltes seraient achetées aux prix internationaux ".

Avec de telles promesses, les tentatives de séduction des autres candidats sont restées vaines. "Un représentant de Shafik est venu dans ce village et a proposé 150 livres à qui voterait pour lui ! On en a marre de cette corruption !", lance une mère de famille entourée d'une ribambelle de gamins espiègles, qui se mettent spontanément à scander "Morsi !Morsi !", dansant pour certains, grimpant sur une charrue pour d’autres.

Ambiance moins festive à Ibrahimia

A une vingtaine de kilomètres de là, c’est une tout autre ambiance dans le village natal d’Ahmed Shafik, à Ibrahimia. Peu d’affiches d’ailleurs… Assis devant une échoppe, quatre hommes d’une trentaine d’années disent fièrement qu’ils ont voté Morsi. Il faudra attendre quelque temps pour que la confiance s’installe et que certains avouent leur vote pour Shafik.

"Shafik est un homme fort qui a de l’expérience. L’Egypte a aujourd’hui besoin de cela et lui seul peut prendre le pays en main" confie Ahmed, 32 ans, professeur de physique à l’université de Al Zagazeg. "Il a promis la création d’emplois. C’est important dans un pays où il y a plus de 55% de chômage ! Les Frères Musulmans n’ont aucune vision économique. Ils se font les chantres de l’action sociale, mais leur programme est creux !".

Un autre ajoute : "Voter Shafik ne veut pas dire restaurer le système Moubarak. Les deux hommes n’ont rien à voir. Ils n’ont ni les mêmes idées, ni la même personnalité. Shafik aura été élu par le peuple pour 4 ans. Et s’il se trompe, on descendra dans la rue. Il sait qu’il ne peut pas faire les mêmes erreurs".

Pour Ali, agriculteur, Shafik est l’homme du retour à la stabilité économique de l’Egypte, dont bénéficieront de facto les campagnes. "De toute façon, je ne connais pas l’autre candidat. Ici, on ne connaît que Shafik". Une femme tenant ses deux enfants par la main prend à son tour la parole : "Si les Frères prennent le pouvoir, on deviendra une république islamique comme l’Iran ou l’Afghanistan ! On n’en veut pas. Moi, je vote Shafik parce que je veux que mes enfants aient un travail. Et moi aussi !"

Pour bon nombre d’électeurs cairotes, la défense des idéaux révolutionnaires par le boycott ou le vote-sanction contre le "candidat de l’armée" prime sur toute autre considération. Dans les campagnes au contraire, une majorité d’électeurs s’est déplacée aux urnes pour soutenir un candidat et son programme. Quel sera le poids de cette Egypte des campagnes, majoritaire dans le pays ?