Si, au lendemain de ce premier tour des législatives, les éditorialistes confirment dans leur grande majorité la "petite" victoire de la gauche parlementaire, tous reviennent surtout sur la grande gagnante du scrutin : l’abstention.
"Vague rose", "vaguelette rose", "vie en rose", quelle que soit la formule choisie, le constat est le même chez tous les éditorialistes au lendemain de ce premier tour des élections législatives : la gauche rassemblée autour de François Hollande a bénéficié d’un nouveau vote de confiance de la part des électeurs français. Pas de raz-de-marée rose à l’horizon certes, mais un score suffisamment élevé pour s’assurer une majorité confortable au Palais-Bourbon.
"Le tableau ne sera achevé que dimanche mais l'esquisse, au lendemain du premier tour des législatives, révèle déjà les contours du paysage politique français pour les cinq prochaines années", se félicite Nicolas Demorand, le directeur de la publication du quotidien de gauche Libération, "les électeurs semblent vouloir donner à François Hollande les moyens d’agir". Une verve euphorique que l’on retrouve - évidemment - dans le journal communiste l'Humanité. "Les hiérarques de la Sarkozye défaite espéraient une session de rattrapage... Ils ne l'ont pas obtenue des électeurs. Tout juste peuvent-ils parier sur le lot de consolation d'un solide groupe d'opposition à l'Assemblée". Optimiste pour le Parti socialiste, Le Monde.fr, quant à lui, a titré lundi matin : "La majorité absolue à la portée du PS".
"Elle est où la vague ?"
A droite, évidemment, on tente de sauver la face en parlant à la fois de "soutien mesuré" au président, du "jeu égal" entre UMP et PS, et du "manque d’appétit de gauche". Sans surprise, l’éditorial du Figaro de ce lundi dézingue à tout va le résultat de la majorité. "L'élection de François Hollande le 6 mai n'a pas enclenché un phénomène d'enthousiasme et d'amplification comparable à l'élection de François Mitterrand en 1981(…) Il n'y a cette fois ni appétit de gauche ni volonté de changer la vie (…) Pendant une semaine encore, les socialistes vont continuer à amuser la galerie avec la normalité du président, l'usage des trains par les ministres, le statut du cannabis, la suppression des notes à l'école. En sport, cela s'appelle jouer la montre", lâche Étienne Mougeotte, le directeur de la rédaction qui estime que l’UMP "s’en sort bien". Son point de vue est partagé par Jacques Camus, journaliste à la République du Centre qui préfère, lui, user de l’ironie pour relativiser la victoire de la gauche. "Elle est où la vague ?", s’interroge le journaliste "Eh bien, elle est plus encore que d'habitude, dans l'abstention des électeurs."
L'abstention, "première force politique du pays"
C’est le deuxième sujet favori des éditorialistes : l’abstention record de ce premier tour. Près de 43% de Français n’ont pas accompli leur devoir citoyen. Un chiffre si élevé qu’il fait dire à Patrice Chabanet du Journal de la Haute-Marne que l’abstention est la "première force politique du pays" et à Métro qu’elle est "le grand vainqueur de ce premier tour". "Jamais le désintérêt des Français pour la chose publique ne s'est manifesté avec autant de vigueur", déplore le quotidien gratuit. Même l’Humanité reconnaît qu’une telle désertion des électeurs "dévalorise une Assemblée nationale à laquelle pourtant, toutes les lois sont soumises…" Pour la Presse de la Manche, elle donne une couleur quelque peu "étrange" à cette petite victoire du PS et "oblige à s'interroger sur la motivation réelle du peuple français".
Et pourtant, l’abstention masque mal à elle seule la "petite bérézina" qu’a enregistrée l’ancienne majorité présidentielle, estime Nicolas Demorand. Même le "laminage" du MoDem de François Bayrou, pourtant largement commenté ce lundi matin, n’occulte pas le sujet du revers électoral enregistré par l’UMP. Les uns y voient une suite logique de la présidentielle. C’est le cas du quotidien Le Progrès : "Les Français sont peut-être des veaux mais pas des girouettes. Quand on leur pose et repose la même question à un mois et demi de distance, ils donnent et redonnent la même réponse : ‘Hollande’ à la présidentielle, ‘gauche’ aux législatives". Les autres mettent en cause les divisions internes.
"Dernière sanction"
"Les droites majoritaires, mais divisées dans le pays, ont perdu les législatives", constate Michel Urvoy, journaliste à Ouest-France. "Dans la faible, et très commentée, mobilisation de l'électorat, il semble évident que c'est la droite qui s'est abstenue, choquée par la défaite si tôt annoncée et par les divisions à la tête de l'UMP", ajoute de son côté Daniel Ruiz du quotidien La Montagne. D’autres, à l’image de Jean-Michel Elvig, éditorialiste à la République des Pyrénées, enfoncent le clou : "Sarkozy est le premier président sous la Ve République à avoir perdu tous les scrutins une fois son élection et sa majorité acquise (…) C'est le bilan du quinquennat précédent qui a reçu une dernière sanction".
Reste à savoir quelle carte jouera l’UMP pour tenter de se sortir de ce mauvais pas législatif. Passera-t-il des accords - discrets - avec le Front national, parti qui confirme son ancrage dans le paysage politique français ? La question intrigue Bruno Dive, journaliste à Sud-Ouest. "Il se repose pour la droite la sempiternelle question des rapports avec le Front national. Un bureau national de l'UMP doit en débattre aujourd'hui, mais déjà Jean-François Copé comme Alain Juppé ont renvoyé dos-à-dos FN et Front de gauche, ce qui laisse penser que l'ancien parti majoritaire devrait refuser de choisir entre la gauche et le Front national lorsque son candidat sera éliminé."