, envoyé spécial à Alger – Pour la première fois depuis le printemps arabe, les Algériens étaient appelés aux urnes ce jeudi pour élire leurs députés. Un scrutin dont les principaux enjeux résident dans le score des partis islamistes et l’ampleur de l’abstention.
Quelque 22 millions d’Algériens étaient appelés aux urnes, ce jeudi 10 mai, pour renouveler l’Assemblée populaire nationale (APN), dont le nombre de sièges a été porté de 389 à 462 par rapport aux législatives de 2007. Quarante-quatre partis et près de 25 000 candidats ont participé au scrutin à travers tout le pays.
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Première consultation électorale organisée dans le pays depuis les manifestations qui s’y sont déroulées dans le sillage de la révolution tunisienne, ce scrutin à la proportionnelle à un tour représente une échéance politique majeure pour les autorités. Après avoir multiplié les concessions pour ne pas connaître le même destin que ses homologues de Tunis, du Caire ou de Tripoli, le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, entend en effet se servir de ces législatives pour tester la portée des réformes qu’il a adoptées dans le but d'enrayer la contagion du printemps arabe : autorisation de créer de nouveaux partis, libération de la presse et féminisation de la vie politique, notamment. Et, accessoirement, assurer l'avenir de son clan, à deux ans de la prochaine échéance présidentielle...
Objectif : 45 %... de participation
Dans un pays où les électeurs ont tourné le dos à la vie politique depuis plus de deux décennies, la transformation de l’essai suppose toutefois qu’un taux de participation significatif soit au rendez-vous. En la matière, Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du Front de libération nationale (FLN, au pouvoir), le parti présidentiel, s’est d’ailleurs fixé un objectif : atteindre le seuil de 45 % de votants, à partir duquel le scrutin sera considéré comme un succès. Pour l’heure, selon les chiffres fournis par le ministère algérien de l’Intérieur, le taux de participation à l’échelle nationale s’élevait à 34,95 % à 17h30 heure locale.
Si certaines irrégularités sont rapportées par la presse algérienne au niveau local, José Ignacio Salafranca, le chef de la mission d’observation de l’Union européenne qui a déployé pour la première fois quelque 150 observateurs dans le pays, a indiqué en fin de matinée que, d’une "façon générale", les opérations se déroulent "normalement".
Reste que, dans les rues d’Alger, le désintérêt pour les législatives est patent, si bien que nombre de politologues s’attendent à un taux d’abstention encore supérieur à celui de 2007, où il avait déjà atteint le chiffre de 64 %... En milieu de matinée en effet, les électeurs ne se présentaient qu’au compte-gouttes dans les bureaux de vote. Ainsi, au centre Malek Berrabia, dans le quartier de Bab-el-Oued, les salles de classes où ont été installées les isoloirs étaient quasi-vides. Dans la capitale, beaucoup ne font d’ailleurs pas mystère de leurs intentions. Rue Ali Boumendjel, Faiçal, 26 ans, diplômé en gestion électronique, explique ainsi qu'il n’ira pas voter. "Je n'attends rien de ce scrutin, assure-t-il en sirotant son thé dans un gobelet en plastique à l'ombre d'un arbre, cigarette aux lèvres. Certains doivent y aller parce qu'ils peuvent perdre leur boulot, mais moi, je suis au chômage... Parlons plutôt de François Hollande !", lance-t-il avant de confier qu'il souhaiterait s'exiler au Canada.
Face à un pouvoir qu’ils considèrent comme usé, corrompu et incapable de lutter contre le fléau du chômage qui touche plus de 20 % d'entre eux, beaucoup de jeunes comme lui ne voient pas ce qu'un bulletin de vote pourrait changer, en dépit de la promesse faite par les autorités d’organiser des élections transparentes.
"L'Histoire ne se répétera pas"
Dans ce contexte, les partis islamistes algériens - au nombre de sept - entendent bien tirer leur épingle du jeu en surfant sur la vague créée par les victoires des partis frères au Maroc, en Tunisie et en Égypte. "Les électeurs islamistes participeront au vote. Au cours de la campagne électorale, ils étaient mobilisés. Nos adversaires, qui ont peiné à remplir les salles, vont pâtir de la défection de leurs électeurs", a ainsi affirmé à l’AFP Kamel Mida, le porte-parole du Mouvement de la société pour la paix (MSP), qui compose, avec deux autres formations religieuses, l’alliance L’Algérie verte. Selon lui, cette dernière remportera "au moins 120 sièges" dans la nouvelle Assemblée.
Un pronostic auquel beaucoup, toutefois, ne souscrivent pas. "L’Algérie a vécu cette expérience en 1991 et l’Histoire ne se répétera pas", juge ainsi Abdelaziz Belkhadem. "L’ouverture politique a fait éclater le clan des islamistes. Le passage à un système électoral à la proportionnelle intégrale rend par ailleurs peu probable qu’un parti remporte la majorité absolue. De ce fait, l’alliance entre le FLN et le RND [Rassemblement national démocratique ndlr] devrait perdurer, décrypte pour FRANCE 24 le politologue Rachid Grim, rencontré à Alger. Enfin, il faut rappeler qu’en Algérie l’islamisme a déjà été au pouvoir : le MSP, s’il a quitté l’alliance présidentielle en janvier, a conservé ses quatre ministres au gouvernement."