logo

De la Bastille 1981 à la Bastille 2012 : les analogies trompeuses

Ils ont le même prénom, ils ont fait - presque à la virgule près - le même score. Tous les deux ont battu un jeune président, le privant d’un second mandat. Et pourtant, rien d’autre n’invite à pousser plus loin l’analogie. Cette victoire de la gauche n’a rien à voir avec celle de 1981, qui était une première sous la Ve République.

Même si elle y porte un homme qui n’a pas la moindre expérience ministérielle, la gauche a, cette fois-ci, l’expérience du pouvoir, et paraît même en avoir tiré un certain nombre de leçons. François Hollande a frappé les observateurs, dimanche 6 mai, par sa manière modeste de triompher, son absence totale de lyrisme. Quelques instants seulement après s’être adressé à la foule galvanisée de la Bastille, il se disait "soucieux". Soucieux de la situation dans laquelle se trouve le pays qu’il aura la charge de présider pendant cinq ans.

Il a certes fait quelques promesses que certains jugent hasardeuses, voire intenables, mais il a aussi annoncé son intention de ramener progressivement le budget à l’équilibre en 2017. La marge de manœuvre est des plus étroites, mais on peut s’attendre (et espérer) que les errements économiques de 1981 seront épargnés aux Français. Dépenser sans compter pour satisfaire sa clientèle électorale a débouché à l’époque, en moins de deux ans, au "tournant de la rigueur". Aujourd’hui, cela conduirait à la ruine, et beaucoup plus rapidement.

Hier soir, encore à la Bastille, le président élu qui s’est fixé pour tâche de remettre la France (et l’Europe) sur le chemin de la croissance indiquait clairement que cela devait être fait en mettant l’accent sur la production, préalable indispensable à la distribution et à toute préoccupation de justice sociale, et s’inscrire dans un "nouveau départ pour l’Europe". On est décidément bien loin de 1981.

François Hollande s’est, selon son biographe Serge Raffy, plongé récemment dans l’Histoire de la crise de 1929 et du New-Deal de Franklin D. Roosevelt. Là aussi les analogies ont leurs limites. À l’époque, l’élan "redistributif" s’était appuyé sur un effort d’armement, puis de guerre, sans précédent. Les États-Unis sont sortis de la récession en devenant la première puissance militaire du monde. Pour la France du XXIe siècle, le salut ne peut venir que d’un projet européen de résistance au déclin auquel le continent semble irrémédiablement destiné par l’essor des économies émergentes.

François Hollande entre à l’Élysée avec des ambitions, mais en sachant que ses idées ne sont pas partagées par la chancelière allemande, Angela Merkel, partenaire indispensable de toute politique européenne. Il n’a pas de baguette magique, pas d’expérience internationale, mais il devra vite apprendre car ses premiers rendez-vous sont sur la grande scène mondiale, avant la fin du mois, avec le G8 à Washington et le sommet de l’Otan à Chicago.

Le 6 mai, le président élu évoquait les 31 ans qui ont séparé les deux prises de la Bastille par la gauche, souhaitant qu’à l’avenir sa famille soit plus régulièrement invitée à l’alternance. Il faudra pour cela qu’il évite les erreurs de 1981. Le fait que cet homme personnifie la synthèse parfaite entre les "deux gauches" incite à la confiance : la première, mitterrandienne, pour l’intelligence tactique déployée pour conquérir le pouvoir, et savoir le garder. La deuxième, rocardienne, faite de sérieux économique, de sobriété et d’ouverture. Et même une troisième d’inspiration plus démocrate-chrétienne, celle de Jacques Delors, qui fut véritable mentor du nouveau président élu. Finalement, François Hollande n’a peut-être pas pris la Bastille par hasard.

Sylvain Attal