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L’évasion du dissident Chen Guangcheng, un faux souci pour les autorités chinoises

Le dissident aveugle Chen Guangcheng, assigné à résidence, a confirmé son évasion ce vendredi via Internet. Mais sa fuite peut-elle faire fléchir l’un des régimes les plus répressifs au monde ? Rien n’est moins sûr, estiment les experts.

Il a fui au nez et à la barbe des autorités chinoises. L’avocat Chen Guangcheng, célèbre défenseur de la cause des femmes et pourfendeur de la politique malthusienne de l’enfant unique, s’est échappé de son domicile de Dondshigu dans la province du Shandong, où il était assigné à résidence depuis plus d’un an et demi. Sa fuite, qui remonte au dimanche 22 avril, a été dévoilée ce vendredi sur Internet.

Cette évasion, un véritable "coup de maître", est à première vue un coup rude pour les autorités du pays. D’une part, parce que la bête noire du régime a mis à mal son système sécuritaire en s’échappant de sa résidence pourtant surveillée par des dizaines d’hommes de main du Parti communiste chinois (PCC). D’autre part, parce que cet activiste, aveugle de surcroît, a trouvé une façon inédite, voire provocatrice, de révéler sa fuite au monde entier.

En prenant à témoin la communauté des internautes, Chen Guangcheng a choisi de régler directement ses comptes avec le Premier ministre chinois Wen Jiabao via une vidéo postée sur le site dissident Boxun. Un défi osé face à l’un des régimes les plus répressifs au monde. "Cher Premier ministre Wen, je me suis finalement échappé. Je peux prouver que toutes les informations qui circulent sur Internet sur les violences dont j'ai souffert sont réelles", affirme Cheng devant la caméra, lunettes noires sur les yeux et gilet Nike sur le dos. L’homme, dont la voix est chargée d’émotion, n’hésite pas non plus à défier le pouvoir. "Si quelque chose de mal arrive à ma famille, je ne cesserai de demander que les responsables rendent des comptes", ajoute-t-il avant de réclamer justice pour les mauvais traitements infligés à ses proches depuis 2010.

La dissidence : le dernier des problèmes des Chinois

Un acte revendicatif "sans précédent", reconnaît Jean-François Brisset, spécialiste de la Chine et directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Si les dissidents utilisent régulièrement Internet pour présenter leurs doléances et condamner le régime, jamais l’un d’eux n’avait pris le risque d’interpeller directement le Premier ministre pour le confronter aux méfaits de son gouvernement. Mais cet acte courageux peut-il réellement déstabiliser le pouvoir en place ? Rien n’est moins sûr, assure l’expert.

Le contexte politique est certes "assez fébrile" en ce moment, pour ne pas dire délétère. La Chine se prépare, en effet, à un changement en profondeur de son exécutif [en octobre, le président Hu Jintao doit céder sa place à l’actuel vice-président, Xi Jinping] alors qu’une guerre de clan fait rage entre conservateurs et réformistes pour prendre les rênes du pays. Mais de là à parler de "revers" pour le régime, il faut raison garder, estime Jean-François Brisset. La raison est simple : les problèmes de dissidence n’intéressent, selon lui, que très modérément le peuple chinois, au contraire de l’Occident qui raffole du sujet – les noms des résistants Ai Weiwei, célèbre artiste chinois et Liu Xiaobo, prix Nobel de la Paix 2010, reviennent d'ailleurs régulièrement dans les médias internationaux.

L'affaire Bo Xilai monopolise l'intérêt de l'opinion publique

Un faible intérêt qu’Alice Ekman, spécialiste de la Chine à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et professeure à Science Po, s’emploie à expliquer. "La Chine est entièrement tournée vers l’affaire Bo Xilai, un scandale politique et people à multiples rebondissements [Bo Xilai est un éminent homme politique chinois récemment évincé du Comité central du PCC pour infraction à la discipline du Parti. Son nom est également cité dans une enquête concernant la mort d’un ressortissant britannique, NDLR]. C’est cette affaire qui monopolise actuellement l’intérêt de l’opinion publique", explique-t-elle.

Le cas de Chen Guangcheng n’a donc pas de quoi affoler l'apparatchik chinois. "La population se préoccupe surtout du vivre-mieux, des problèmes de corruption, de chômage. Bo Xilai concentre à lui seul toutes ces problématiques. Les Chinois ne se sentent pas vraiment concernés par la thématique du manque de liberté d’expression, d’atteinte aux droits de l’Homme que symbolise Chen Guangcheng", ajoute son confrère de l’Iris.

L’émouvant message internet du dissident chinois ne devrait donc avoir que "peu d’impact" dans un pays déjà sévèrement verrouillé par une importante censure d'internet. Même le mot "aveugle" est désormais interdit sur Weibo, le Twitter chinois. Une fatalité qui sonne comme une triste ironie du sort. Car même libre de ses mouvements, Guangcheng demeure à présent privé de vue, et de visibilité.