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Paris fait pression pour fermer les frontières en cas d'important flux migratoire

Le gouvernement français propose de rétablir le contrôle aux frontières au sein de l’UE en cas de forte pression migratoire. À dix jours du second tour de la présidentielle, cette mesure prend une dimension électoraliste.

La France a réclamé jeudi à Luxembourg la possibilité de fermer les frontières nationales en cas de forte pression migratoire. Cette proposition, en débat au niveau européen depuis plusieurs mois, est remise à l’ordre du jour à la demande du président-candidat Nicolas Sarkozy, parti à la conquête des suffrages de l'extrême droite avant le second tour de la présidentielle le 6 mai.

C’est Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, qui a défendu cette position jeudi lors d'une réunion avec ses homologues de l'Union européenne à Luxembourg. Il est revenu sur la lettre, co-écrite par son homologue allemand Hans-Peter Friendrich et adressée à la présidence de l’UE, dans laquelle il explique vouloir "rétablir des contrôles aux frontières internes" pendant 30 jours en cas de défaillance à une frontière extérieure de l’espace Schengen et de prolonger cette mesure si nécessaire. "Il faut savoir ce qu'on veut et aller au bout de ses convictions. Ou l'Europe s'organise, ou elle ne s'organise pas", a soutenu Claude Guéant.

Cette mesure remettrait en cause les principes fondateurs de l’espace Schengen, créé en 1985 pour permettre aux ressortissants de 26 membres européens (22 pays plus l’Islande, la Norvège la Suisse et le Liechtenstein) de circuler librement sans contrôles frontaliers. Cinq pays de l’UE n’en sont pas membres : Royaume-Uni, Irlande, Chypre, ainsi que la Roumanie et la Bulgarie, qui sont candidats à l'adhésion mais ont essuyé un refus en septembre dernier. Selon le ministre de l'Intérieur, l'Union européenne recense 400 000 entrées irrégulières et 4 millions de clandestins.

La requête franco-allemande n'est en fait pas nouvelle. "C’est un débat qui est dans les tuyaux depuis mars 2011, suite à un contentieux entre la France et l’Italie au sujet de la crise migratoire à Lampedusa lors des révolutions arabes", commente Catherine de Wenden, spécialiste des migrations internationales. Sarkozy et Berlusconi avaient fini par demander à Bruxelles d’arbitrer leur contentieux en "examinant la possibilité de rétablir temporairement le contrôle aux frontières intérieures" des Etats-membres de l'espace Schengen.

"La fin de la solidarité entre les pays européens"

Depuis, la commission des Libertés civiles du Parlement européen a voté ce mercredi 25 avril un texte autorisant les États appartenant à l'espace Schengen à rétablir les contrôles aux frontières de leur pays, mais seulement en cas de menace pour la sécurité et pour un maximum de dix jours. "Nous avons catégoriquement exclu la possibilité d'ajouter des motifs supplémentaires, par exemple de flux migratoire, à des dispositions exceptionnelles déjà existantes permettant aux Etats membres de réintroduire des contrôles aux frontières intérieures", a affirmé mercredi le rapporteur du Parlement européen, la libérale roumaine Renate Weber.

Ce jeudi, Paris a toutefois obtenu d'ouvrir un débat sur l'opportunité d'inclure l'immigration comme un événement permettant, dans certaines conditions, de rétablir des contrôles aux frontières nationales. Une modification lourde de conséquences, estime Catherine de Wengen. "Cela signifie abandonner le traité d’Amsterdam de 1997, note-t-elle. C’est le retour au souverainisme des contrôles aux frontières, mais c’est surtout la fin de la solidarité entre les partenaires européens".

La demande franco-allemande est loin de faire l’unanimité au Parlement. La commissaire en charge des Affaires intérieures Cécilia Malmström estime que la requête va loin, car elle vise à "exclure temporairement" les États-membres de Schengen dont les confins sont devenus des frontières extérieures, lorsqu'ils ne sont pas en mesure de les contrôler.

Agenda électoral

De son côté, Claude Guéant a reconnu que si la proposition avait témoigné de l'intérêt" de la part de certains États, comme les pays du nord de l'Europe, elle suscitait "des réserves de la Belgique et de la Suède". La ministre belge de l’Intérieur Joëlle Milquet reproche au gouvernement français de présenter cette mesure en pleine campagne électorale. "Ça n'a rien de neuf et je pense que les agendas électoraux me semblent plus importants que le fond des dossiers qui existent depuis très longtemps", a-t-elle commenté.

En France, le candidat Nicolas Sarkozy est à la conquête des suffrages de l’extrême droite en vue du second tour du 6 mai. "Les Français ne veulent plus d'une Europe passoire. C'est le message que j'ai entendu", a-t-il affirmé lundi, au lendemain du premier tour marqué par un score très élevé de la candidate du Front national Marine Le Pen. Depuis l’entre deux-tours, les thèmes liés à l'immigration enflamment les débats. "Je suis persuadé que, à partir du moment où vous avez près de 18 % de Français qui expriment ce vote, ce sont des gens qui disent 'ça ne peut plus durer, on n'est pas satisfait de la façon dont le monde évolue depuis 30 ans, on veut conserver notre mode de vie, on trouve que ça change trop vite, on veut des frontières, on veut la Nation (...) on n'est pas raciste mais on considère que la France a accueilli trop de monde", a déclaré le président-candidat sur France Inter ce jeudi.

Selon Claude Guéant, la présidence danoise de l'UE a bon espoir de parvenir à un compromis politique avant la fin de son mandat fin juin. Faute d’accord d'ici un an, Nicolas Sarkozy a menacé de sortir la France de Schengen.