
Destitués par le FN de leur rôle de faiseur de roi, les centristes sont en crise. Si François Bayrou a choisi de temporiser, certains affichent leur différence, trahissant les dissensions qui existent au sein de la famille centriste.
Le MoDem a beau avoir fait un score moitié moindre que celui qu'il avait réalisé en 2007, son président, François Bayrou, est décidé à vendre chèrement sa consigne de vote pour le second tour. Il a envoyé ce mercredi 25 avril une lettre à François Hollande et Nicolas Sarkozy, dans laquelle il leur demande de prendre position sur les priorités qui étaient les siennes lors de la campagne : la réduction de la dette et la moralisation de la vie publique. Il s'est engagé à prendre ensuite "ses responsabilités" concernant une éventuelle consigne de vote, qui pourrait intervenir le 3 mai, au lendemain du débat entre les deux candidats.
François Hollande a souligné jeudi plusieurs points de convergence avec le centriste François Bayrou, qui a selon lui compris la "fuite en avant" de Nicolas Sarkozy sur le terrain des idées du Front national.
Le président du MoDem, qui a recueilli 9,13 % au premier tour de l'élection présidentielle, a écrit aux finalistes Nicolas Sarkozy et François Hollande pour poser ses conditions avant d'apporter à l'un ou à l'autre un éventuel soutien.
Le candidat centriste a semblé prendre ses distances avec le président sortant, qu'il a accusé de "valider" les thèses du Front national.
"Il a compris que l'attitude de Nicolas Sarkozy était une vraie fuite en avant, c'est-à-dire une course derrière les thèses du Front national et qu'il y a des limites à poser", a dit François Hollande sur France Info.
À l'image de leur leader, les électeurs du MoDem, et plus généralement les centristes, hésitent toujours à se ranger derrière François Hollande ou Nicolas Sarkozy. S'ils représentent un électorat moins hétéroclite que celui du Front national, ils n'en sont pas moins déchirés entre deux candidats qui s'écartent, chacun à leur manière, de leurs "valeurs".
Des fuites à droite et à gauche
Pour éviter une dispersion des troupes, François Bayrou a réuni le 24 avril sa garde rapprochée pour demander que cessent les prises de positions individuelles. Nombreux sont en effet les centristes à avoir déjà affiché clairement leur préférence pour le second tour. Au premier rang de ceux-ci figure Jean Arthuis, président de l'Alliance centriste, qui a indiqué qu'il votera pour Nicolas Sarkozy, appellant les centristes de tous bords à se rassembler afin d'adopter "une position constructive" en vue des législatives de juin.
D'autres se sont rangés derrière François Hollande, comme cette quarantaine d'élus MoDem qui ont annoncé lundi 23 avril leur intention de voter pour le candidat socialiste, en invoquant "un devoir de clarté et d'alternance". Ces élus indiquent ne pas vouloir voter pour un candidat "qui a pris trois virages idéologiques qui l'ont éloignée du centre : l'ultralibéralisme et le culte de l'argent, l'atlantisme et un populisme de droite". En cela, ils résument la pensée de nombreux centristes qui déplorent la "droitisation" de la campagne du président sortant, lancé à la poursuite des voix du FN.
À l'affut d'une "gauchisation" de Hollande et d'une "droitisation" de Sarkozy
À la peine dans les urnes, défiant vis-à-vis d'un leader qui hésite, le centre serait-il en train d'imploser ? "On est en plein dans une bipolarisation de la vie politique, qui va durer au moins jusqu'au second tour", se lamente Stéphane Cossé, président du MoDem Paris, qui reconnaît que "la période est compliquée pour le centre". Mais, selon lui, il existe toujours une "sensibilité centriste profondément ancrée dans le pays".
Contrairement à d'autres élus MoDem, il a choisi d'attendre la réponse à la lettre de François Bayrou - "une démarche réfléchie et constructive" - pour se prononcer sur son intention de vote au second tour. "D'ici là, nous allons suivre avec attention les déclarations des deux candidats. On scrute leurs faits et gestes pour savoir si l'un 'droitise' son discours ou si l'autre le 'gauchise'." Quant aux élus qui n'ont pas attendu avant de se prononcer, il dit ne pas vouloir les suivre, tout en respectant des décisions prises "en fonction d'un passé, d'une sensibilité qui leur sont propres".
Ne pas rester "le cul entre deux chaises"
Mais tous les centristes ne se montrent pas aussi patients que ceux restés fidèles à François Bayrou. C'est le cas de Damien Abad, député européen et secrétaire général adjoint du Nouveau centre. Sa formation s'est engagée derrière Nicolas Sarkozy dès le premier tour, mais il indique se sentir toujours "profondément centriste et humaniste". "Etre centriste ne veut pas dire être 'le cul entre deux chaises', il faut prendre ses responsabilités. François Bayrou, qui est quelqu'un de bien pour qui j'ai voté en 2007, devrait voir qu'objectivement Nicolas Sarkozy est plus proche des centristes sur le sujet qui nous est le plus cher : l'équilibre des finances publiques."
L'élu européen indique que le centre aurait pu envisager une alliance avec la gauche française si celle-ci se rapprochait des grands partis sociaux-démocrates de l'Unin européenne, mais il assure qu'en France "le Parti socialiste est l'otage de l'extrême gauche". "Une alliance avec François Hollande plongerait le centre tout entier dans une impasse politique et stratégique", fait-il valoir.
Un jugement qui serait partagé par Nicolas Sarkozy, selon des propos confidentiels du président sortant rapportés par le "Canard enchaîné" dans son édition du 25 avril. "Les électeurs de Bayrou ne sont pas très différents de ceux de Le Pen. Ceux qui restent chez lui [Bayrou ndlr] sont des vrais électeurs de droite. Et, ceux-là, quand on va leur parler du droit de vote des étrangers, du mariage homo, d'euthanasie, de la dame des 35 heures à Matignon [Martien Aubry ndlr], du matraquage fiscal ou de la libéralisation du cannabis, ils vont très vite revenir au bercail..."