La plus haute juridiction française pourrait prononcer le 24 mai l'annulation de la condamnation du groupe pétrolier pour le naufrage de l'Erika en décembre 1999 qui avait provoqué une des pires marées noires sur le littoral de l'Hexagone.
Douze ans après le naufrage du pétrolier Erika au large des côtes bretonnes, la procédure judiciaire qui vise le groupe Total pourrait bien être annulée. L’information, révélée dans un rapport préparatoire du parquet général de la Cour de cassation, a été publiée par les quotidiens français Libération et Ouest-France, dans leurs éditions du 6 avril.
Le ministère public appuie son évaluation sur le fait que, le 12 décembre 1999, le navire étranger – il battait pavillon maltais – naviguait en zone économique exclusive, en dehors des eaux territoriales françaises. Selon l’avocat général, la loi française ne serait donc pas applicable, ce qui permettrait au groupe pétrolier d’échapper à toute poursuite par la justice pénale.
La Cour de cassation n’est cependant pas obligée de se conformer à l’avis du parquet général. Jusqu’alors les juges, lors des deux procès en 2007 et 2009, avaient estimé que le fait que le sinistre ait impacté le territoire français suffisait à rendre la justice compétente.
L’instance doit se réunir le 24 mai puis rendre sa décision.
Si la plus haute juridiction française suit les recommandations du parquet, elle pourrait prononcer l’annulation définitive, sans renvoi, de la condamnation de Total pour pollution maritime.
Le groupe pétrolier pourrait donc échapper aux condamnations prononcées en 2008 en première instance, puis en appel en 2010. Pour l'heure, la facture totale des indemnisations du naufrage de l’Erika s’élève pour le moment à 200,5 millions d’euros. Le groupe s’est déjà acquitté de 171,5 millions d’euros.
Indignation
Si l’annonce suscite de nombreuses réactions, un juriste rapporte à l'agence Reuters que le parti pris des juridictions inférieures pourrait à nouveau prévaloir : "Il est quand même difficile de ne pas voir que du pétrole s’est déversé sur 400 km de côtes." Le jour du naufrage, l’Erika s’était brisé en deux durant une tempête et avait déversé 20 000 tonnes de fioul.
Mais depuis vendredi matin, les réactions d’indignation se multiplient. "Plus de 12 années de combat des collectivités locales, en particulier des régions Pays de la Loire, Bretagne et Poitou-Charentes, mais aussi des associations risquent d'être balayées", déclare le président socialiste de la région Pays de la Loire, Jacques Auxiette, dans un communiqué au sein duquel il fait part de son "indignation", de son "inquiétude" et de sa "colère".
"On juge une affaire qui a eu lieu en 1999, avec le droit de 1999. Or depuis cette date, le droit a quand même évolué", s'indigne le député écologiste Noël Mamère (EELV). "L'avocat général donne une interprétation très stricte, très classique et très conservatrice des textes dans lesquels il n'y avait pas la reconnaissance du préjudice écologique."
Corinne Lepage, avocate de plusieurs municipalités dans le procès de l'Erika, interrogée par la radio française RTL, partage cette inquiétude et se dit même "particulièrement étonnée". "Depuis le début, on se heurte à une connivence entre les intérêts de Total et les intérêts de l'État, contre les Français et l'environnement", développe celle qui fut ministre de l'Environnement entre 1995 et 1997.
Jurisprudence internationale
Si la Cour de cassation décidait de blanchir Total dans l’affaire de l’Erika, la portée du jugement pourrait être sans précédent pour l’industrie pétrolière mondiale.
Car dans son rapport, le parquet préconise également l’abandon du concept de "préjudice écologique" qui a été retenu dans la condamnation initiale, prononcée en 2008.
Cet élément avait permis d’acter le fait que tout préjudice porté à l’environnement soit considéré comme un dommage permettant au demandeur d’exiger réparations, au même titre que les préjudices matériel, moral ou économique.
Interrogé sur l’antenne de FRANCE 24, Alexandre Faro, avocat de Greenpeace, décrypte : "Les règles sont très simples : vous prenez un pavillon de complaisance, vous vous éloignez des eaux territoriales, vous déversez le fioul comme vous l’entendez et vous êtes assurés d’une immunité totale."
"La justice est indépendante. Elle n’est pas obligée de suivre l’avis de l’avocat général. […] Il ne faut pas créer de mauvaise jurisprudence", prévient-il.
Pour Corinne Lepage aussi, une telle décision serait catastrophique : "Si un accident se produit en haute mer, si la responsabilité pénale ne peut être recherchée, ça veut dire qu'ils peuvent continuer à agir par cupidité, à faire des choix purement financiers au détriment de l'environnement voire de la sécurité humaine, et qu'il ne se passera jamais rien".
Noël Mamère s’inquiète, lui aussi, de la portée de ces réquisitions : "Si la cour de cassation suit l'avocat général et annule la condamnation de Total […] on accorderait l'impunité à tous les pollueurs du monde, ce serait un grave recul pour le droit de l'environnement."
Outre le groupe pétrolier français (375 000 euros), d’autres entités ont été condamnées par la justice pénale. Il s’agit de Rina, l’organisme de contrôle maritime italien qui a fourni au navire son certificat de navigabilité (175 000 euros), Antonio Pollara, ancien gestionnaire de l’Erika (75 000 euros) et Giuseppe Savarese, ex-propriétaire du navire (75 000 euros).