La Tunisie s’apprête à souffler, samedi 14 janvier, la première bougie du renversement du président Zine el-Abidine Ben Ali, premier dirigeant arabe chassé du pouvoir par son peuple au terme d’un mois de manifestations populaires.
Les préparatifs du premier anniversaire du renversement de Ben Ali ont un goût amer pour de nombreux Tunisiens, qui regardent avec cynisme le déploiement massif d’une propagande officielle appelant le peuple à souffler la première bougie de la "révolution de la dignité".
La bougie en question s’apparente en effet à un bâton de dynamite tant les Tunisiens sont méfiants envers toute récupération politicienne de la révolution du 14 janvier 2011, après avoir été matraqués pendant 23 ans de cérémonies similaires célébrant l’accession de Ben Ali au pouvoir.
Retour vers le futur
"Quand je suis passé sur l’avenue Bourguiba et que j’ai vu tous les drapeaux et les affiches annonçant que tel ministère, tel bureau, telle banque célébraient le 14 janvier, ça m’a rappelé les fêtes de l’ancien régime pour commémorer le ‘changement’" [nom officiel de l’accession au pouvoir de Ben Ali], affirme Alaa Talbi.
Ce doctorant en histoire compte fêter le premier anniversaire de cette journée historique en retraçant à l’identique sa journée du 14 janvier 2011 - prendre son café du matin au même bistrot, refaire le trajet qu’il avait fait ce jour-là dans les rues de Tunis, avant de finir sur l’avenue Bourguiba devant le ministère de l'Intérieur, symbole honni de l’ancien régime.
Une étape incontournable de son trajet sera le grand rassemblement prévu à 11 heures du matin devant le siège de l’UGTT, la centrale syndicale tunisienne qui a joué un rôle clé dans l’organisation des manifestations anti-Ben Ali.
"Il ne s’agit pas de célébrer une victoire. Au contraire, on va manifester car on veut poursuivre le processus révolutionnaire. Il faut montrer qu’on est prêt à redescendre dans la rue !", s’exclame Alaa Talbi.
Loin des clameurs de la rue
La détermination des anciens manifestants tranche avec le flou du programme officiel de la journée. Selon l’agence de presse tunisienne TAP, des artistes investiront l’avenue Bourguiba pour animer une grande manifestation populaire à l’endroit même où s’étaient massés des milliers de Tunisiens l’année dernière.
Sophia Baraket, une photographe tunisienne qui a couvert la journée du 14 janvier, s’attend pourtant à une atmosphère tendue avenue Bourguiba. "J’ai entendu parler d’une sorte de parade avec des policiers du ministère de l’Intérieur et dans le contexte actuel, ça peut vite dégénérer", prévient-elle, estimant que la cérémonie avec les dignitaires étrangers sera tenue à l’abri d’éventuelles manifestations. "De toute façon, la cérémonie officielle est avant tout destinée à l’étranger ! Le président doit faire un discours mais ça m’étonnerait qu’il ose aller le faire en pleine rue étant donné le nombre de personnes mécontentes".
Qatar blues
De nombreux dirigeants arabes ont été invités pour la cérémonie officielle, y compris les voisins directs de la Tunisie, le président algérien Abdelaziz Bouteflika et le chef du Conseil national de transition en Libye, Moustapha Abdeljalil.
Mais c’est la présence de l’émir du Qatar qui suscite le plus de critiques, d’anciens révolutionnaires reprochant ouvertement au parti islamiste modéré Ennahda d’utiliser le premier anniversaire de la révolution tunisienne pour inviter son "banquier".
Reste une catégorie de la population tunisienne pour laquelle cette date historique restera un jour de douleur et de tristesse : les familles des victimes de la répression du régime de Ben Ali. Celles-ci ont décidé de marquer le premier anniversaire de la révolution en se rassemblant devant l’ambassade d’Arabie saoudite pour demander l’extradition du dictateur déchu.
Un souhait qui a peu de chance d’être exaucé tant que le souffle du 14 janvier n’aura pas atteint le royaume wahhabite.