Depuis le 1er janvier 2012, les compagnies aériennes du monde entier doivent s'acquitter d'un permis de polluer pour desservir les aéroports de l'Union européenne. Une décision jugée "discriminatoire" par les États-Unis et la Chine.
Le ciel européen est-il en passe de devenir le théâtre d’une guerre commerciale internationale ? Depuis le 1er janvier 2012, toutes les compagnies aériennes desservant les pays de l’Union européenne (UE) se trouvent dans l’obligation de payer un droit à polluer d'un montant équivalent à 15 % de leurs émissions de gaz carbonique, ce qui devrait représenter environ 380 millions d'euros de recettes pour les Vingt-Sept en 2012.
La nouvelle réglementation, validée le 21 décembre 2011 par la Cour européenne de justice, met en place un système d’achat de quotas de CO2 pour les vols au départ ou à destination d’un aéroport de l’UE. Lasse de voir les négociations au niveau mondial piétiner, la Commission européenne a voulu frapper un grand coup en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
Désormais en pointe dans le domaine, l’Europe a provoqué la colère des autres continents. Pékin, Washington, mais aussi New Delhi et Brasilia ont déjà demandé à l’UE de revenir sur sa décision. Preuve de l’importance de cette mesure, elle a été critiquée au plus haut niveau, notamment par Hillary Clinton, la secrétaire d’État américaine, et par le porte-parole de la diplomatie chinoise, qui a fustigé une décision "unilatérale".
Les compagnies aériennes américaines sont allées jusqu’à saisir la Cour européenne de justice pour tenter de faire valoir l’aspect "discriminatoire" de cette législation. Leur recours a été rejeté, au motif que ce système "ne viole pas les principes de droit international coutumier".
"Frontières virtuelles"
Une décision surprenante pour Pierre Sparaco, journaliste spécialisé en aviation et membre de l’Académie de l’air et de l’espace, qui s’interroge "sur le bien-fondé d’une mesure allant à l’encontre des règles internationales du transport aérien, le secteur le plus globalisé au monde"."Même si elle ne le reconnaît pas officiellement, c’est bien une taxe carbone que l’Europe a mise en place, et, de fait, 27 pays imposent désormais leurs vues au reste du monde en établissant des frontières virtuelles autour de l’UE", souligne-t-il.
"Si ces tensions débouchent sur une guerre commerciale, il n'y aura pas de vainqueur", avait mis en garde, avant la mise en place de la réglementation, le directeur général de l'Association des compagnies régionales européennes, Mike Ambrose. Des avertissements qui n’ont pas ému la commissaire européenne en charge du climat, Connie Hedegaard, qui entend bien faire payer les transporteurs aériens pour leur rôle dans le réchauffement climatique.
Celle-ci a conseillé aux compagnies qui desservent l'UE d'augmenter leurs tarifs de 2 à 14 euros par trajet, précisant que, selon elle, les transporteurs aériens seraient bien avisés de faire payer la totalité de leurs émissions aux passagers.
Menaces américaines et chinoises
Condamnées à s’acquitter de cette nouvelle redevance si elles veulent continuer à desservir l’Europe, les grandes compagnies mondiales organisent la riposte, bien épaulées par les gouvernements des pays dont elles sont issues. Les États-Unis ont d’ores et déjà annoncé qu’ils disposaient "d’un certain nombre de possibilités qu'ils feront valoir comme il se doit", sans en préciser la nature.
Côté chinois, on menace l’UE de rétorsions commerciales. "Une rumeur dit que les Chinois lâcheraient Airbus, mais cela me semble bien improbable, car Airbus a une usine d’assemblage en Chine et les compagnies aériennes chinoises sont en plein développement et ont besoin des appareils de l'avionneur européen", analyse Pierre Sparaco.
Selon lui, si les compagnies aériennes se sont émues de la décision européenne, c’est surtout pour éviter que cette "taxe" ne soit le début d’un système de sanctions envers le transport aérien. Mais en dépit de cette bataille qui se joue en coulisse, le journaliste ne voit pas les pays et les compagnies aériennes aller jusqu’à la guerre commerciale. "Le secteur est fragile, les avions américains et chinois ne peuvent pas se permettre de ne plus desservir les aéroports européens."