Depuis l’enlèvement et la mort de la Française Marie Dedieu, Lamu est déserté par les touristes. La population mise sur le festival culturel de l'archipel, du 24 au 27 novembre, pour redonner tout son attrait à ce qui fut un véritable paradis.
Situé en bord de mer à Lamu, une île de l’océan Indien au large de la côte est du Kenya, le restaurant Bush Gardens est désert. Assis à l’ombre, son propriétaire, Ghalib Ahmed Alwiy, un homme corpulent et bavard, attend les touristes qui se font rares ces derniers temps. “Les affaires ?, s’exaspère-t-il. C’est complètement mort. En 28 ans, je n’ai jamais vu ça. Y’a qu’à regarder ! Il n’y a personne. Je perds de l’argent tous les jours pour essayer de faire tourner le restaurant." "Je viens ici juste pour me poser avec mes gars”, ajoute-t-il en montrant ses employés.
Ghalib Ahmed Alwiy espère que le tourisme va bientôt reprendre. Le propriétaire du Bush Gardens est aussi l’organisateur du festival culturel annuel de Lamu. Il a décidé de ne pas annuler l’édition 2011 qui doit se tenir du 24 au 27 novembre. “Le festival est un bon moyen d’attirer des entreprises à Lamu, explique-t-il. Le spectacle aura bien lieu et je suis sûr que ce sera une réussite.”
Pour cause, l’archipel de Lamu au Kenya, composé des îles de Lamu, Manda et Pate, est un paradis tropical pour touristes avec ses kilomètres de plages et ses eaux d'un bleu turquoise. L’île de Lamu, dont la vieille ville est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2001, est le plus ancien et le mieux préservé des lieux de peuplement swahili en Afrique de l'Est.
Mobile flou
Ce cadre idyllique attire touristes, mais aussi anthropologistes, artistes et autres fêtards. La liste des célébrités qui ont mis les pieds ici, ou qui se sont offert une luxueuse propriété en bord de mer, est longue : le prince de Monaco, les princes William et Harry, Mick Jagger, Brad Pitt, Angelina Jolie, sans compter l’armée de paparazzi qui les accompagnent.
Mais la vie de l’archipel, situé non loin de la frontière somalienne, a changé depuis la nuit du 1er octobre, quand une sexagénaire française atteinte d’un cancer, Marie Dedieu, a été kidnappée devant sa maison sur l’île de Manda. Son enlèvement a eu lieu quelques semaines seulement après celui d’une touriste britannique dans un village de vacances de luxe, le Kiwayu safari village. Cette touriste a ensuite été emmenée en Somalie alors que son mari a été tué pendant l’attaque.
Le mobile de ces enlèvements reste flou. Selon les services secrets kenyans et occidentaux, les ravisseurs ont conduit leurs otages dans des zones somaliennes contrôlées par le groupe islamiste des Shebab. Les gouvernements occidentaux ont choisi de ne prendre aucun risque et multiplient les mises en garde aux voyageurs pour déconseiller les déplacements dans cette région. Le gouvernement français a "formellement déconseillé de séjourner dans l’archipel de Lamu et dans sa région".
Consternation et colère
Conséquence : les répercussions économiques dans cette région sont “drastiques”, estime Steven Ikua, le gouverneur de Lamu. “Nous n’avons pas encore les chiffres mais je peux vous dire que depuis les deux enlèvements, il y a eu de nombreuses annulations dans les hôtels. L’industrie du tourisme, mais aussi de la pêche, est tellement touchée que beaucoup de personnes ont perdu leur emploi.”
Ces recommandations aux voyageurs suscitent consternation et colère chez les habitants de Lamu. “Les conseils du gouvernement kenyan, qui déconseille également à ses ressortissants de se rendre à Lamu, n’arrangent rien et Lamu en pâtit, vitupère Ghalib Ahmed Alwiy. Je pense que ces recommandations manquent d’objectivité. Combien d’Américains ou de Français sont tués aux Etats-Unis ou en Europe ? Ils ne réagissent pas ainsi quand ça arrive là-bas !". Un point de vue largement partagé sur l’île.
De son côté, l’ambassadeur français au Kenya, Etienne de Poncins, tient à préciser : “Nous sommes conscients des conséquences pour la population et l’économie de ce pays, déclare-t-il à France 24 lors d'un entretien téléphonique. Mais notre principale responsabilité est avant tout de protéger nos citoyens. Nous nous devions de prendre des mesures après l’enlèvement de madame Dedieu dans une région touristique en plein milieu de la nuit.”
Sécurité renforcée
Plus d’un mois après qu’elle a été enlevée puis déclarée morte par les autorités françaises, la maison de style swahili ouverte sur l’océan de Marie Dedieu semble abandonnée. À l’intérieur, des toiles d’araignée entourent des piles de livres français.
Dans une maison voisine, Bernard Benedictaponda, un domestique, regarde vers la rive pour passer le temps. Ses patrons devaient revenir du Royaume-Uni quelques jours après le rapt de la Française. “Mais ils ont annulé leur voyage ici sur les conseils de leur gouvernement”, explique-t-il. En pointant du doigt une maison attenante à celle de Marie Dedieu, il poursuit : “Les propriétaires britanniques de cette demeure sont venus la veille de son kidnapping. Le lendemain matin, ils ont acheté des billets pour rentrer chez eux et ne sont jamais revenus depuis.”
Ghalib Ahmed Alwiy espère que la situation va reprendre son cours dans les prochaines semaines, surtout avec le festival culturel de Lamu qui propose des courses d’ânes, de la musique traditionnelle, des danses ainsi que des plats swahilis.
Sans relâche, Ghalib Ahmed Alwiy, président de longue date du festival, a soulevé des fonds ces derniers mois. À ce propos, il affirme que les récents évènements n’ont pas refroidi ses sponsors habituels, parmi lesquels figurent les ambassades de France, des États-Unis, d’Espagne, d’Allemagne et d’Italie. “La France sponsorise le festival culturel de Lamu depuis de nombreuses années, précise l’ambassadeur de France. Nous avons voulu montrer notre soutien en confirmant notre participation cette année.” Mais Etienne de Poncins se refuse à dire si les conseils aux voyageurs en vigueur actuellement vont être modifiés prochainement, tout en affirmant qu’aucun changement ne sera effectué "en matière de sécurité".
Le gouverneur de Lomu indique que la sécurité sur l’archipel et dans la région a été renforcée "comme jamais", avec des patrouilles de police en mer et des patrouilles navales. “On fera le maximum pour assurer la sécurité de chacun durant le festival ”, indique Steven Ikua. On attend de nombreux visiteurs cette année, entre 15 et 20 000 environ." Reste à voir si les visiteurs, eux, se sentiront en sécurité. Pour sa part, Ghalib Ahmed Alwiy plaide pour que "tout le monde s’unisse pour trouver une solution politique pour la Somalie, et ainsi ne pas punir Lamu".