La faible participation des femmes à l’élection de l’Assemblée constituante, le 23 octobre, inquiète certaines candidates qui craignent d'être inexistantes dans la future Tunisie post-Ben Ali. Reportage de nos envoyés spéciaux.
Quelle sera la place des femmes dans la prochaine Assemblée constituante tunisienne ? À quelques jours du premier scrutin libre organisé en Tunisie - le 23 octobre prochain -, la question inquiète Bochra Belhaj Hmida, tête de liste de l’important parti de centre gauche Etakattol dans la ville de Zaghouan, à 50 km de la capitale. "Les femmes représentent la moitié de la société, mais cette moitié n’a pas encore trouvé sa place dans le pays", déplore-t-elle. Et pour cause, sur les 1 600 listes, seules 5 % sont menées par des femmes.
La loi électorale prévoit pourtant une parité stricte et impose une alternance obligatoire entre candidats féminins et masculins sur toutes les listes de partis. Même les islamistes d’Ennahda ont soutenu cette mesure phare pour la défense des droits des femmes. Mais de la théorie à la pratique, il y a un fossé. Le conservatisme tunisien semble bien ancré dans la population.
Accompagnée de son équipe et menant au pas de charge sa campagne sur un marché de Zaghouan, Bochra Belhadj Hmida se heurte au mépris des hommes lorsqu’elle annonce sa candidature. "Je ne peux pas te regarder tu es une femme…ça ne se fait pas de regarder une femme…Je suis gêné… Une femme reste toujours une femme…Quoi qu’il en soit, candidate ou pas, je ne te regarderai pas", lui rétorque un vendeur de cacahuètes alors qu'elle s'adresse à lui.
Ennahda : 25%
PDP : 16%
FDTL : 14%
CPR (Congrès pour la République, parti de centre gauche allié à Ennahda): 8%
Afek Tounes : 3%
PDM : 2%
Autres partis (106 autres formations participent à l'élection) : 32%
Sondage réalisé en septembre par l'Observatoire tunisien de la transition démocratique.
"Je ne suis pas que femme, je suis aussi candidate pour servir mon pays"
Bochra Belhadj Hmida ne se décourage pas et tente d’engager la discussion avec le commerçant récalcitrant. "Monsieur, regardez-moi, écoutez-moi, je ne suis pas que femme, je suis aussi candidate pour servir mon pays." L’homme, stoïque, campe sur ses positions. "J’ai des doutes sur le fait que tu veuilles servir ton pays."
À l’instar de cette candidate, d’autres femmes souffrent d’un manque de visibilité - et de crédibilité - sur la scène politique. Sell Sabil Shaaben est étudiante en droit. Elle figure "un peu par hasard" en quatrième position sur une liste électorale d’un petit parti indépendant. Contrairement à Bochra, les moyens pour mener sa campagne sont dérisoires : un tube de colle payé de sa poche et quelques affiches… Lucide, elle sait que son nom n’apparaît sur la liste que "pour la forme." Qu’à cela ne tienne elle joue le jeu. "Alors tu vas voter pour moi ?", lance-t-elle à une de ses amies au téléphone en riant, mais sans grande conviction.
Ironie du sort : cette parité non respectée combinée à un mode de scrutin proportionnel pourrait donner le jour à une Assemblée constituante composée d'un nombre d'élues encore moins important... que sous l'ère Ben Ali.