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Révélé mardi par le ministre américain de la Justice, Eric Holder, le projet d'attentat contre l'ambassadeur saoudien aux États-Unis imputé à l'Iran laisse perplexe bon nombre d'experts. L'amateurisme du modus operandi leur paraît louche.

Les États-Unis et l’Arabie saoudite en sont convaincus, l’Iran aurait fomenté un complot pour assassiner l'ambassadeur saoudien aux États-Unis. Ainsi, sur ordre de Téhéran, un revendeur de voitures d’occasion résidant au Texas, qui dispose de la double nationalité américaine et iranienne, aurait sollicité un cartel de narcotrafiquants mexicains pour l’aider à faire exploser une bombe dans un restaurant de Washington ssouvent  fréquenté par l'ambassadeur Adel Al-Djoubeïr. Le tout contre la somme de 1,5 million de dollars.

Modus operandi

Ce "scénario hollywoodien", selon les propres termes du directeur du FBI, Robert Müller, est loin d’avoir convaincu certains éminents experts de l’Iran et spécialistes des cartels de drogue mexicains. L'amateurisme du modus operandi est en particulier pointé du doigt.

"Que le plus gros soutien mondial du terrorisme se serve d'un vendeur de voitures d'occasion texan et de narcoterroristes pour un attentat aussi énorme et sans précédent semble défier l'imagination", analyse pour l’AFP Suzanne Maloney, spécialiste du Moyen-Orient à l'institut Brookings basé à Washington. Le complot "ne ressemble pas au dispositif terroriste professionnel de l'Iran", poursuit-elle.

De son côté, Kenneth Katzman, spécialiste du Moyen-Orient au Centre de recherche du Congrès américain et fin connaisseur de l’Iran, affirme qu’il serait "ridicule" de croire le scénario qui a été avancé. "Il n’existe aucun précédent voire de raison rationnelle pour que l’Iran puisse confier l’exécution d’un complot, quel que soit le lieu, à un intermédiaire non-musulman, tel que les gangs de narcotrafiquants", explique-t-il dans un message à l’attention d’autres experts du Golfe persique, publié en ligne.

Un argument également soulevé par Gary Sick, professeur à l’université de Columbia, grand spécialiste de l'Iran et ancien conseiller à la Maison Blanche. "L'Iran a été accusé d’avoir commandité plusieurs assassinats en Europe et des attentats en Argentine et ailleurs. Mais les victimes des assassinats étaient des contre-révolutionnaires iraniens dans les années 1980, et les attentats ont toujours été réalisés par des intermédiaires de confiance - normalement une branche du Hezbollah", explique-t-il sur son blog personnel.

Même sentiment d’incrédulité parmi les observateurs des cartels de drogue. "Ce que veulent les cartels, c'est faire leur commerce en secret, pas faire un autre travail", note Raul Benitez, du Centre de recherche sur l'Amérique du Nord à l'université nationale autonome du Mexique (UNAM). "Cela ressemble plutôt au scénario d'une télénovela ou d'un bon film", renchérit José Reveles, auteur de livres sur les trafiquants de drogue, interrogé par l’AFP.

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"dans ce scénario tout est un peu parfait... ou un peu trop bancal"
Le complot terroriste imputé à l'Iran soulève une vague de scepticisme

Questions sur le mobile du complot

Mais alors, quelles seraient les motivations d’un tel acte susceptible de provoquer un conflit dans la région du Golfe. "Tuer l'ambassadeur saoudien en Amérique n'a aucun intérêt pour l'Iran, affirme l'analyste iranien Saïd Leylaz, interrogé par l’agence Reuters. Les conséquences de ce complot sont graves [...] Cela pourrait provoquer une confrontation militaire entre l'Iran et les Etats-Unis en 2012."

D’aucuns penchent plutôt pour la piste d'électrons libres au sein de l'appareil iranien ou celle d’un acteur isolé. "Même s'il faut rester prudent, cette théorie n’est pas impossible, commente Gauthier Rybinski, spécialiste de politique internationale à France 24, dans la mesure où l’on assiste aujourd’hui à une bataille au plus haut niveau du régime iranien entre le camp du Guide suprême Ali Khamenei et le président Mahmoud Ahmadinejad."

Selon le journaliste, dans cette affaire, des factions plus au moins contrôlées auraient pu tenter de décrédibiliser l’un ou l’autre des deux hommes. "En l’occurrence, il pourrait s’agir de prouver que lorsque les services sont sous la coupe d’Ahmadinejad, ils font preuve d’amateurisme, n’atteignent pas leur objectif et pis, se font prendre la main dans le sac." Car, rappelle Gauthier Rybinski, "lorsque l’Iran officiel trempe dans un attentat ou une action criminelle, en général on le suppose, on le suppute mais on en a rarement la preuve immédiate".