Le président du groupe socialiste au Sénat, Jean-Pierre Bel, est devenu samedi le premier président socialiste de la Chambre haute sous la Ve République. Portrait d'un homme discret mais "préparé".
Peu habitué à être sous le feu des projecteurs, Jean-Pierre Bel n'a pas pour autant boudé son plaisir quand ses pairs socialistes l’ont acclamé collectivement mardi pour le désigner unique candidat à la présidence du Sénat. Catherine Tasca, la vice-présidente du PS au Sénat, "dissuadée" de se présenter, le hollandiste Jean-Pierre Bel a donc, sans coup de théâtre, pris la tête de la Chambre haute à l’issue du vote des sénateurs par 179 voix contre 134 voix pour son prédecesseur Gérard Larcher.
Ce montagnard ariégeois ne visait pas particulièrement les sommets, mais à force de gravir un à un les échelons du PS, il y est parvenu. Élu samedi, cet homme méconnu du grand public est devenu le numéro deux de l’État français.
Si on lui reproche parfois son manque de notoriété, le poste ne lui fait pas peur. Président du groupe socialiste au Sénat depuis 2004, Bel a travaillé et se dit "préparé": "Quand on regarde les dix-sept présidents du Sénat, à peine un ou deux étaient véritablement connus. Je n’ai aucun complexe (…) Ma légitimité, je la tire depuis sept ans maintenant", confiait-il au micro de Pascale Clark sur France Inter le 26 septembre.
Sous l'aile de Lionel Jospin
Ni énarque ni Parisien, Bel a fait ses classes politiques dans les montagnes ariégeoises d’où il tient son accent chantant. C’est à Mijanes, village pyrénéen de 91 habitants, où il s’est installé avec sa femme a u début des années 1980 pour diriger un centre de vacances, qu’il prend goût à la politique locale. Acquis aux valeurs de la gauche par sa famille résistante et communiste, Bel devient militant trotskiste à la fac de droit de Toulouse pour finalement se laisser tenter par l’aventure socialiste. Il est élu maire de Mijanes en 1983 et prend la même année sa carte au PS.
Dès lors, il pratique l’appareil de l’intérieur : il rejoint, en 1986, le Conseil général de l’Ariège présidé à l’époque par son beau-père, Robert Naudy. Mais c’est sous l’aile de Lionel Jospin - maire de Cintegabelle, au pied de l’Ariège -, rencontré la même année, qu’il prend du galon. Jospin le nomme directeur de sa campagne aux régionales de 1992 ; en 1994, il le propulse secrétaire national aux Fédérations (1994-97) puis secrétaire national aux élections (1997-2000). En 2007, il est chargé d’élaborer le projet socialiste de réforme des institutions pendant la campagne présidentielle. Malgré ses responsabilités nationales croissantes, il ne délaisse pas son engagement local et ravit à la droite, en 1998, le canton de Lavelanet puis la municipalité en 2001.
Une politique consensuelle
Élu sénateur de l’Ariège en 1998, Jean-Pierre Bel prend la tête du groupe socialiste au Sénat en 2004, après le départ en retraite du jospiniste, Claude Estier. Il mène alors une présidence "de consensus", sans éclat ni fracas qui lui permet d’être renouvellé dans ses fonctions en 2008.
"Il a bien conduit le groupe socialiste et n’est pas pour rien dans cette victoire, il a su rassembler, s’imposer et sera un leader incontesté, estime dans un communiqué enthousiaste, Martin Malvy, président de la région Midi-Pyrénées. Un avis qu'Yvon Collin, président du groupe RDSE (Rassemblement démocratique et social européen) tempère, "les critiques les plus dures à son égard viennent de son parti".
Bel ne fait effectivement pas l’unanimité au sein de sa famille politique, certains lui reprochant son manque de charisme. "La politique de consensus, c’est un joli mot pour parler d’un homme qui manque d’envergure", confie un collaborateur socialiste à FRANCE 24. Un sénateur indiquait, de son côté, lundi à Libération : "Ce n’est pas Alexandre, mais ce n’est pas Pompée, il sait faire le job". Qualifié d’"opportuniste" par Martine Aubry, il joue la carte modeste du provincial :
"Je suis un montagnard qui vient de l’Ariège et je n’ai jamais joué des coudes pour être au milieu de la photo. (…) Nous qui venons de départements éloignés, nous sommes souvent regardés de façon un peu curieuse. J’ai toujours connu ça : on a à faire à une sorte de scepticisme mais c’est à nous de montrer que nous avons la capacité et l’autorité", ajoutait-il sur France Inter.
Habile politique, Bel a su s’effacer derrière le collectif pour en récolter finalement les faveurs. Samedi, le Sénat l'a propulsé sur le devant de la scène politique.