Entre la France et l’Espagne, c’est la guerre! Près de Barcelone, un distributeur alimente les agriculteurs français en pesticides non-homologués à des prix imbattables ! Le Journal de l'Intelligence Économique d’Ali Laïdi a enquêté sur ce qui ressemble à une distorsion de la concurrence.
Ils sont nombreux chaque jour à traverser la frontière qui sépare la France de l'Espagne. Agriculteurs, viticulteurs voire particuliers se rendent chez Cazorla, une entreprise espagnole qui vend des pesticides à des prix défiant toute concurrence. Pour les agriculteurs du Sud de la France qui ont parfois du mal à joindre les deux bouts, la tentation est grande de s'approvisionner en Espagne pour réduire leurs coûts de production.
Mais pour ceux qui respectent la légalité, il y a là une vraie distorsion de concurrence. Pour autant ils ne sont pas prêts de céder à ces mauvaises pratiques agricoles. Au Domaine de l'Arjolle, près de Montpellier, Charles Duby pratique la "viticulture raisonnée". Traiter les vignes a un coût, mais pas question pour autant de s'approvisionner en Espagne : "Mon premier objectif n'est pas de faire des économies, mais d'utiliser les produits à bon escient. Ces produits [phytosanitaires] sont assez chers, et ils ont en plus des conditions d'utilisation très spécifiques. Un produit phytosanitaire ça ne s'utilise pas comme n'importe quel autre produit ménager".
Et c'est bien là le problème. Certains produits vendus chez Cazorla ne bénéficient pas d'autorisation de mise sur le marché (AMM) en France. Leur composition chimique ne correspond pas aux normes en vigueur dans notre pays.
Nous nous sommes rendus chez Cazorla avec la liste des produits homologués en France qu'ils proposent à la vente. Pourtant, sur place, c'est leur équivalent "contrefaits" qui nous ont été vendus ! Ces produits qu'on nous a présentés comme étant en tout point semblable aux originaux présentent des différences dans leur formulation chimique. Pour les agriculteurs "raisonnés" cela représente un vrai danger pour les sols, les nappes phréatiques et les consommateurs !
C'est également le point de vue que partage Jean-Charles Bocquet, Directeur de l'UIPP (Union des Industries de la Protection des Plantes) et invité sur notre plateau : "Pour nous c'est vraiment de la délinquance sanitaire car il peut y avoir, dans ces produits frauduleux, des impuretés qui vont entraîner la destruction des cultures". Le manque à gagner est donc énorme pour les agriculteurs, mais pas seulement. Les industriels de la filière phytosanitaire estiment que leurs pertes, au niveau européen, se chiffre entre 5 et 10% d'un marché d'environ 10 milliards d'euros. « Dans certaines régions et particulièrement dans le sud de la France cela peut atteindre 20% du marché en viticulture et sur les cultures vivrières" ajoute Jean-Charles Bocquet.
Les produits phytosanitaires homologués sont-ils trop chers ? C'est l'argument des Jeunes Agriculteurs du Gard. Ce syndicat a, ces dernières années, multiplié les coups d'éclat pour attirer l'attention des pouvoirs publics sur le manque d'harmonisation européenne en matière de produits phytosanitaires. Pour Jean-Charles Bocquet, l'argument ne tient pas vraiment la route : "Les produits sont chers pour les agriculteurs, par contre ils leur permettent d'améliorer et de sécuriser leurs rendements. Un produit c'est 10 années d'études et 200 millions d'euros d'investissements pour entraîner les effets éventuels sur la santé et environnement".
Un travail de recherche sapé par la "contrebande" estime le directeur de l'UIPP qui en appelle aux autorités françaises : "Aujourd'huila distribution, les fournisseurs, la filière agricole responsable se mobilisent pour demander aux autorités soit d'accélérer les contrôles, soit d'appliquer la nouvelle réglementation européenne qui va justement réguler encore plus ces échanges parallèles. Parce que le commerce parallèle est tout à fait possible et nous le respectons, dans la mesure où c'est un commerce qui respecte la loi et qui ne met pas en péril la sécurité et la santé des consommateurs".
La société Cazorla, que nous avons contacté, déclare respecter la législation. Elle nous a apporté pour preuve un jugement du tribunal de Montpellier. La décision judiciaire indique qu'un particulier est en droit de s'approvisionner chez eux tant qu'il en fait un usage personnel. Pourtant, d’après l’enquête d’un détective privé, ce sont des camions entiers qui partent de Cazorla pour livrer les agriculteurs français…