
La visite à Paris du président rwandais Paul Kagame est censée parachever la normalisation des relations entre les deux pays après dix-sept ans de tensions et de malentendus. Éléments d'explication.
Du 11 au 13 septembre, le président rwandais Paul Kagame effectue sa première visite officielle en France depuis la fin du génocide qui s’est soldé par le massacre de plus de 800 000 Tutsis et Hutus modérés au Rwanda, entre avril et juin1994. Un déplacement qui vient couronner les efforts déployés par Nicolas Sarkozy pour sceller la réconciliation entre Paris et Kigali après plusieurs années de brouille.
Jusqu’au voyage du président français dans la capitale rwandaise en février 2010, qui a amorcé le réchauffement entre les deux pays, trois gros dossiers ont longtemps empoisonné les relations franco-rwandaises. Rappel.
L’enquête du juge Bruguière sur l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana
Lancée en 1998 à la suite d’une plainte déposée par les familles des pilotes français de l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana détruit par deux missiles sol-air le 6 avril 1994, l’enquête du juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière débouche, en 2006, sur l’émission de neuf mandats d’arrêt contre des proches de Paul Kagame. Une initiative qui provoque l’ire de Kigali, d’autant plus que le magistrat français recommande également au Tribunal pénal international d'Arusha (TPIR) de poursuivre le chef de l’État rwandais pour sa "participation présumée" à l’attentat contre l’avion présidentiel, qui a déclenché le génocide.
"Allégations totalement infondées", répliquent immédiatement les autorités rwandaises, qui accusent l’enquête française d’être motivée par des intérêts politiques et décident de rompre leurs relations diplomatiques avec Paris.
L’affaire s’envenime en novembre 2008 avec l’arrestation en Allemagne puis l’extradition en France de Rose Kabuye, alors directrice du protocole de la présidence rwandaise, qui fait partie des neuf personnes dont le juge Bruguière a demandé la capture. "Si le monde veut continuer à croire que n’importe quel petit juge, en France, peut lancer un mandat d’arrêt contre un ministre au Rwanda, au Sénégal, à Djibouti, au Gabon ou ailleurs, j’estime que le contraire est aussi possible", réagit le président rwandais.
La tension retombe sensiblement avec l’arrivée des nouveaux juges antiterroristes, Marc Trévidic et Nathalie Poux, qui reprennent à zéro l'enquête de Jean-Louis Bruguière, parti en retraite en 2007. Les deux juges auditionnent en décembre 2010, au Burundi, six des neuf responsables rwandais visés par le mandat d’arrêt international signé par le juge Bruguière. Paradoxalement, ce rendez-vous judiciaire marque une amélioration des relations franco-rwandaises, ouvrant la possibilité pour les accusés de circuler librement et à leurs avocats d’avoir accès à l’enquête.
Le rapport rwandais accusant la France de complicité de génocide
Retour en 2006. Ulcéré par les mandats d’arrêt délivrés par le juge Bruguière contre neuf de ses proches, le pouvoir rwandais ne tarde pas à riposter. En août 2008, la commission d'enquête Mucyo "chargée de rassembler les éléments de preuve montrant l’implication de l’État français dans la préparation et l’exécution du génocide perpétré au Rwanda en 1994" publie un rapport. On peut y lire notamment que "la France connaissait les préparatifs du génocide dès octobre 1990", qu’elle a "conforté le régime Habyarimana dans l’élaboration de sa doctrine génocidaire" et que Paris a "soutenu diplomatiquement et militairement le gouvernement […] qui était en train d’organiser et d’exécuter [le] génocide."
Le texte vient contredire les conclusions rendues en 1998 par une mission d’information parlementaire française qui exonérait la France de toute responsabilité dans le génocide. Pis : le document accuse formellement une trentaine de responsables politiques et militaires français – parmi lesquels l’actuel ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, qui dirigeait déjà la diplomatie française à l’époque du génocide - d'avoir joué un rôle dans la politique de soutien présumé de la France au régime Habyarimana.
À Paris, les réactions au rapport Mucyo ne se font pas attendre. Le Quai d'Orsay évoque des accusations "inacceptables" et met en cause "l'objectivité" de la commission d'enquête rwandaise. Le ministre français de la défense, Hervé Morin, dénonce, quant à lui, "un procès insupportable pour la mémoire des militaires français".
Si, lors de sa visite au Rwanda en février 2010, Nicolas Sarkozy avait fait un pas en direction des positions rwandaises, reconnaissant une "forme d’aveuglement" et "de graves erreurs d’appréciation" de la part de la France en 1994, il n’a pas mis fin à la polémique liée à la publication du rapport. En mai dernier, le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, a ainsi affirmé que le document était rempli de "mensonges et d’inventions" sur l’implication de la France dans le génocide rwandais, avant de poursuivre : "M. Kagame a dit que je n'étais pas le bienvenu au Rwanda. Je lui ai répondu que je n'avais pas l'intention d'y aller et que tant que circulerait [ce] rapport, je n’avais pas l’intention de me manifester de façon très visible." Ce dernier a tenu sa promesse : à l’occasion de la viste en France de Paul Kagame, Alain Juppé est en déplacement en Asie et en Océanie…
L’extradition au Rwanda de génocidaires présumés installés en France
En plus d’accuser Paris d’avoir aidé certains génocidaires hutus à fuir dans l’ex-Zaïre lors de l’avancée des troupes du Front patriotique rwandais de Paul Kagame au printemps 1994, Kigali soupçonne la France de servir de refuge à certains génocidaires. Le cas des médecins Eugène Rwamucyo et Eugène Munyemana et de la veuve du président Habyarimana, Agathe Kanziga, ont notamment retenu l’attention ces dernières années.
Les autorités rwandaises s’insurgent ainsi du fait que Paris ait refusé à plusieurs reprises de les extrader alors qu’ils sont suspectés d’avoir participé aux massacres de 1994, invoquant le fait que les garanties accordées à la défense devant la justice rwandaise étaient insuffisantes.