
Entre le thriller psychologique "Take Shelter" et le film de vampires "Fright Night", Francis Ford Coppola se livre à son public. Récit de la deuxième journée du festival du cinéma américain de Deauville.
10 h 30 - Deauville n'est pas Disneyland
À Deauville, les festivaliers ne sont pas particulièrement matinaux. Le jour a beau s'être levé depuis quelques heures, la très huppée station balnéaire normande peine à émerger. Au matin de ce deuxième jour des festivités, seule une poignée d'irréductibles fait le pied de grue aux abords d'un tapis rouge alors désespérément désert. La légion de drapeaux américains et d'affiches de films rappelle toutefois qu'ici on célèbre bien depuis la veille au soir, et jusqu'au 11 septembre, le septième art "made in USA". "Y a des Disney à Deauville ?", interroge une fillette qu'un "non" sec de sa mère vient arracher de ses rêves.
Pour cette 37e édition, inutile donc de compter sur Mickey Mouse pour enrichir son carnet d'autographes. Les coureurs de célébrités pourront toujours se rabattre sur l'ancienne vedette du journal télévisée de TF1 Patrick Poivre d'Arvor, venu échanger quelques balles sur le court de tennis que toise le majestueux hôtel Normandy.
En attendant les premières projections du jour, un écran géant rediffuse l'arrivée, sous les flashs des photographes, de l'équipe du film "La Couleur des sentiments" à qui incomba, le soir précédent, l'ouverture des hostilités. Inspirée du roman à succès "The Help" de Kathryn Stockett, cette histoire d'amitié entre une journaliste et des domestiques noires dans le Mississippi des années 1960 fait depuis plusieurs semaines salle comble aux États-Unis. Il se murmure même que le couple Obama, grand fan du film, l'a fait projeter à la Maison Blanche. Présenté en avant-première en France, à Deauville, le film sortira sur les écrans nationaux le 26 octobre prochain.
11 h 30 - Ryan Gosling ne viendra pas ce soir
À peine vient-il de démarrer que le festival se heurte à la dure mais inévitable loi des rumeurs. En pause café, des journalistes spéculent sur la présence de Ryan Gosling dans la cité normande. L'étoile montante du cinéma américain ("Blue Valentine", "Drive") doit se voir remettre, le soir même, les tout nouveaux "Trophées du Nouvel Hollywood". Distinction que l'acteur doit partager avec Jessica Chastain. Au casting de deux des films programmés au festival ("La Couleur des sentiments", "Take Shelter"), la ravissante comédienne rousse a répondu à l'invitation. "Lui ne viendra pas", croit savoir un reporter particulièrement bien renseigné.
12 h 45 - Francis Ford Coppola joue le jeu
Qu'importe, l'essentiel est ailleurs. Et il s'appelle Francis Ford Coppola. Après une brève apparition lors de la soirée d'ouverture, le "maître" est attendu dans un petit auditorium pour se livrer au jeu des questions-réponses avec le public deauvillais. Une heure avant l'ouverture des portes, une grappe d'inconditionnels trépigne d'impatience devant le lieu du rendez-vous. Il n'y aura pas de places pour tout le monde. Pas même pour le réalisateur Xavier Beauvois. Un tantinet en retard, l'auteur de "Des Hommes et des Dieux", tout césarisé qu'il est, se voit refuser l'entrée. "Tant pis, à bientôt", murmure-t-il dans sa barbe de trois jours.
Dans la salle, l'auteur de la trilogie du "Parrain", Francis Ford Coppola, peu enclin aux célébrations, répond avec prodigalité aux questions, parfois pointues, de festivaliers admiratifs. Son regard sur l'industrie du cinéma américain ? "Aujourd'hui, c'est le film indépendant qui incarne le cinéma, certainement pas le cinéma commercial car il répète sans arrêt les films, c'est le même film." Et de citer ceux qui, pour lui, jouissent aujourd'hui d'une liberté de création : "les jeunes réalisateurs Paul Thomas Anderson, Steven Soderbergh et Woody Allen." Éclats de rire.
Rayon technique, le "réalisateur de génie" a-t-il un avis sur la 3D ? "Il y a un an et demi, on ne parlait que d''Avatar' et de la manière dont la 3D allait révolutionner le cinéma. J'étais pour ma part sceptique." Depuis, le cinéaste a revu sa position. Sa nouvelle production, le film d'épouvante "Twixt", comporte plusieurs scènes en trois dimensions. Mais, à l'en croire, ce qui est présenté aujourd'hui comme une évolution technologique agite depuis bien longtemps le monde du cinéma. Révélation : "Alfred Hitchcock a tourné une version 3D du 'Crime était presque parfait'".
Sur le 11-Septembre dont ce sera bientôt le triste 10e anniversaire ? "Les attentats ont éveillé les consciences sur le fait que la population musulmane, qui compte peut-être un milliard et demi de personnes, figurait parmi les plus pauvres […] Bien sûr, c'est mal d'exprimer quelque chose comme ça avec la violence mais cela a suscité l'attention du monde."
Après une heure de "conversation", l'invité d'honneur du festival prend congé de son auditoire sous une salve d'applaudissements. Non sans remercier, au passage, le public français, "le plus enthousiaste du monde". "La France peut s'enorgueillir d'être le pays le plus cinéphile."
14 h 30 – 17 h 30 - Apocalypse et pluie d'hémoglobine
Un public de cinéphiles qui peut ainsi passer d'un drame psychologique à une comédie d'épouvante sans s'offusquer du grand écart opéré dans la programmation. Plus de trois mois après avoir glané le Grand Prix de la Semaine de la critique lors du dernier Festival de Cannes, "Take Shelter" se retrouve soumis à l'avis du jury deauvillais (le film est en compétition). Et aux quelque 1500 spectateurs de l'immense auditorium Michel d'Ornano venus assister à la descente aux enfers d'un père de famille subitement frappé de visions apocalyptiques. "Je suis triste que Jeff Nichols, le réalisateur, ne soit pas présent aujourd'hui, confiait avant la projection l'acteur principal, Michael Shannon. Il tourne actuellement son nouveau film. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle si vous aimez ce qu'il fait."
À mille lieux de la mise en scène épurée de Jeff Nichols, "Fright Night" de Craig Gillespie, présenté dans la foulée, revisite non sans espièglerie le film de vampires avec un Colin Farrell en Dracula des temps modernes. Du sang, des pieux, de l'ail, des crucifix... Tous les codes du genre sont réunis. "C'est caricatural", peste un adolescent à la fin de la séance. "Mais, c'est assumé", lui rétorque une camarade.
20 h 30 – "Vous avez un carton d'invitation ?"
Le jour commence doucement à décliner sur Deauville. Sur le tapis rouge défile une cohorte de personnalités de la région tirées à quatre épingles. Les tenues de soirées sont de rigueur. Les cartons d'invitation aussi.
Contrairement aux projections précédentes, celle de "Drive" de Nicolas Winding Refn (prix de la mise en scène à Cannes) fait l'objet d'un contrôle à l'entrée. Sans sésame, difficile de pénétrer dans la salle. "Je ne comprends pas la politique des entrées", râle un journaliste visiblement éconduit. Ce festival a besoin de la presse pour exister. On dirait que c'est réservé aux Deauvillais." Vivement critiqués pour avoir cédé le festival aux marchands du temple "people", les organisateurs seraient-ils revenus aux principes fondateurs de l'événement : une fête du cinéma ouverte à tous les publics plutôt qu'à un petit cercle de privilégiés ?