De nombreux combattants islamistes ont participé à la chute du régime de Kadhafi. Qui sont-ils ? Quel est leur poids ? Quel rôle peuvent-ils jouer dans la Libye de demain ? Réponses avec Mathieu Guidère, spécialiste du terrorisme islamiste.
La bataille de Tripoli qui s'est déroulée il y a une semaine a mis en lumière le rôle des combattants islamistes au sein des forces anti-Kadhafi à travers la figure d'Abdelhakim Belhadj. Cet ex-djihadiste, qui a dirigé l'insurrection armée dans la capitale libyenne, dirige maintenant le Conseil militaire de Tripoli.
Qui sont les islamistes présents dans les rangs des anti-Kadhafi ? Quel rôle peuvent-ils jouer dans la reconstruction de la Libye ? Mathieu Guidère, spécialiste du terrorisme islamiste, auteur des "Nouveaux terroristes" et du "Manuel du recrutement d’Al-Qaïda", répond aux questions de France24.com.
FRANCE 24 : Qui sont les islamistes qui ont pris part à la révolution libyenne ?
Mathieu Guidère : Il y a des islamistes chez les combattants anti-Kadhafi mais on ne peut pas dire qu’ils représentent un bloc homogène. On distingue trois branches. Tout d’abord, les islamistes traditionalistes héritiers de la confrérie religieuse musulmane des Senoussi, très populaires et surtout implantés en Cyrénaïque, dans l'Est [les Senoussi ont combattu la présence italienne et française et ont accédé au trône en 1951 avant d'être renversés par Mouammar Kadhafi en 1969, NDLR].
Il y a ensuite un islamisme politique inspiré des Frères musulmans égyptiens qui souhaite des réformes politiques en Libye, mais ce mouvement a perdu de sa crédibilité en acceptant une conciliation avec le pouvoir.
Enfin, la troisième tendance est celle de l’islamisme djihadiste, partisan de l’action armée. Minoritaires mais plus visibles, les islamistes djihadistes se sont montrés, ces derniers mois, particulièrement efficaces sur le terrain. Ils seraient entre 500 et 1 000 combattants, selon différentes estimations. Ce n’est pas énorme lorsqu'on sait que certains chefs de guerre ont plus de 1 000 hommes sous leurs ordres. En plus de leur faible nombre, les djihadistes sont minoritaires politiquement et leur discours n’est pas rassembleur.
Ces trois tendances sont structurées séparément mais ne s’entendent pas entre elles. Elles se sont pourtant réunies autour d'un ennemi commun : Mouammar Kadhafi.
F 24 : Quel rôle peuvent jouer les islamistes radicaux dans la Libye de demain ?
M. G. : Pour leurs grands services rendus à la révolution – ils sont entrés dans Bab al-Aziziya, le QG du clan Kadhafi – les islamistes djihadistes sont en droit d'exiger une compensation. Ils sont clairement devenus un efficace instrument du Conseil national de tranistion [CNT]. Reste à savoir comment ce dernier va les exploiter. Ils pourraient, par exemple, constituer un corps d’élite intégré dans la nouvelle armée nationale.
Certains d'entre eux, tels Abdelhakim al-Hasadi, gouverneur militaire de Derna [est du pays], Ismaïl al-Salabi à Benghazi, ou Abdelhakim Belhadj, le chef militaire de Tripoli, tous issus du GICL, pourraient assurer un rôle de représentation politique. Bien qu'il soit difficile d'imaginer les voir occuper des postes de ministres, le CNT pourrait leur attribuer des postes subalternes comme celui de secrétaire d’État aux Anciens combattants ?
F 24 : Doit-on craindre, dans les mois à venir, une menace islamiste en Libye ?
M. G. : Pour qu’il y ait une menace islamiste, il faut qu’il y ait soutien populaire. Or les faveurs de la population vont aux Senoussi, pas aux djihadistes. De plus, aucune tribu n’acceptera l’islamisme radical. Il faut d’ailleurs rappeler qu’aucune tribu libyenne n’a un jour soutenu une quelconque branche d’Al-Qaïda. Il est donc peu probable que l’islamisme djihadiste ait sous son contrôle un territoire qui pourrait lui permettre de prospérer.
Actuellement, les islamistes font partie des libérateurs de la Libye, et il n’y a pas d’occupation étrangère comme c’est le cas en Afghanistan et en Irak. On est donc dans une situation complètement inédite où ce sont les islamistes qui vont probablement être le facteur unificateur en cas de problème. Dans tous les cas, ils ont tout intérêt à ce que ça se passe bien. Il en va de leur crédibilité.