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La communauté internationale envisage de nouvelles sanctions économiques afin d’encourager les milieux économiques syriens, principal soutien du régime de Bachar al-Assad, à rejoindre les rangs des contestataires. Une stratégie efficace ?

Et si l’économie était le talon d’Achille du régime syrien ? Alors que les condamnations diplomatiques ne sont pas suivies d’effets et que l’option militaire reste pour l'heure exclue, la communauté internationale semble déterminée à jouer la carte économique pour affaiblir le pouvoir de Bachar al-Assad.

L’Union européenne (UE), comme les États-Unis et le Canada, ont déjà mis en œuvre, il y a plusieurs mois, diverses sanctions visant le clan Assad, dont le président lui-même, incluant notamment gels des avoirs ou interdictions de voyager. Sans grands résultats.

Un embargo sur le pétrole

Quelques données clés de l'économie syrienne

- Le pays passe progressivement, depuis le début des années 2 000, d’une économie fortement contrôlée par l’État à une économie de marché plus libre

- Croissance : environ 4 % ces dernières années

- La Bourse de Damas est née en mars 2009

- Le secteur des services représente 45 % du PIB, le tourisme environ 12 %

- Taux de chômage : environ 8 % officiellement, plutôt 20 % en réalité

- Pétrole : environ 250 000 barils produits en 2010

(Sources : Coface, Moci, The CIA World Factbook)

Ces derniers jours, Washington a multiplié les appels à "isoler" davantage le régime de Bachar al-Assad sur le plan financier. Lundi, la porte-parole du département d’État, Victoria Nuland, a regretté que "certains pays soient toujours en train de remplir les caisses du régime". Vendredi, la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, avait déjà appelé à un embargo général. "Nous appelons ces pays qui continuent à acheter du pétrole et du gaz syriens, ces pays qui envoient toujours des armes à Bachar al-Assad, ces pays dont le soutien politique et économique le conforte dans sa brutalité, à se ranger du bon côté de l’Histoire", a-t-elle déclaré. Berlin a à son tour demandé lundi au Conseil de sécurité des Nations unies de discuter, cette semaine, de nouvelles sanctions contre le régime.

Un embargo sur les hydrocarbures priverait par exemple la Syrie de près du tiers de ses revenus, la France, l’Allemagne et l’Italie étant ses principaux clients. L’imposition de sanctions économiques par la Turquie, partenaire commercial clé de la Syrie (en 2010, les échanges bilatéraux se sont élevés à 2,5 milliards de dollars), pourrait aussi avoir un impact important sur le pays.

Mais pour Samir Aïta, économiste syrien et membre du courant civil de l'opposition, l’isolement économique nuirait avant tout aux populations. Bien qu'il soutienne l'idée de sanctions ciblées contre des personnalités proches du pouvoir, il se dit "farouchement opposé" à des sanctions plus générales. "Ces mesures vont profiter au régime, qui va faire venir les produits interdits par le biais de la contrebande, comme c’est déjà le cas depuis que des sanctions économiques américaines ont été imposées en 2003. Non seulement ces sanctions ne seront pas efficaces, mais elles sont aussi douteuses : soit les Américains n’ont rien appris de ce qui s’est passé en Irak, soit ils en ont tiré des leçons et veulent provoquer un éclatement du pays", affirme-t-il, en appelant la communauté internationale à faire davantage pression pour que l’aide humanitaire puisse parvenir aux populations ou pour que les journalistes puissent entrer dans le pays.

Les sanctions économiques imposées par les Nations unies à l’Irak dans les années 1990 avaient en effet fortement affectées les populations, et le programme  "Pétrole contre nourriture" avait ensuite été contourné par le régime de Saddam Hussein.

Nouvelle bourgeoisie et familles commerçantes

En imposant de nouvelles sanctions financières, les Occidentaux, emmenés par Washington, espèrent toutefois priver le régime du soutien des milieux économiques syriens, jusque-là bien peu diserts sur le bras de fer sanglant auquel se livrent le pouvoir et l'opposition.

Selon les analystes, ces milieux se divisent en deux groupes aux intérêts distincts. D’abord la nouvelle bourgeoisie, qui a émergé depuis le début des années 2000 et rassemble un petit nombre d’hommes d’affaires choisis par le clan de Bachar al-Assad, dont le cousin du président, Rami Makhlouf. Randa Slim, spécialiste du Moyen-Orient à la New America Foundation, évoque dans le bimestriel américain Foreign Policy le chiffre de 200 personnes, dont une majorité d’Alaouites. Les intérêts de cette élite sont clairement liés à la survie du régime.

Ensuite, les familles commerçantes de Damas et d’Alep, qui représentent la communauté économique traditionnelle, plus vaste, largement sunnite avec une forte minorité chrétienne. Ni pro-Assad ni ouvertement en faveur d’un changement de régime, ce groupe redoute avant tout l’instabilité politique.

"À l'exception des Shahiba [les milices du pouvoir, ndlr], les classes sociales qui ne soutiennent pas le mouvement de contestation de manière franche et déclarée ne le font pas parce qu'elles ont peur de l'avenir, de l'instabilité, d’un conflit confessionnel ou d'une intervention étrangère, comme en Irak ou en Libye. Mais pour elles aussi, Bachar al-Assad est devenu une partie du problème", assure Samir Aïta.

Le régime a-t-il les moyens de tenir ?

Après cinq mois de contestation et de répression, la Syrie connaîtrait un net ralentissement de son économie. S’il est difficile, en l’absence de données fiables, d’évaluer précisément l’impact de la crise, ceux qui ont pu se rendre récemment dans le pays décrivent des hôtels ou des restaurants quasiment déserts. "Les principales sources de revenus du régime, c’est-à-dire le tourisme, le commerce et les investissements étrangers, sont touchées, constate Ahcen Lachy, économiste au Centre Carnegie du Moyen-Orient, à Beyrouth. Il y a des problèmes d’approvisionnement, les prix sont très élevés, des fonctionnaires commenceraient à ne plus être payés… On peut dire que la situation est très mauvaise."

Le Fonds monétaire international (FMI) a revu en mars ses prévisions de croissance à la baisse et la toute jeune Bourse de Damas a fortement chuté depuis le début du mouvement de contestation.

Seul un secteur serait en plein boom, selon Samir Aïta, celui du bâtiment. "Les forces de sécurité sont occupées à mater la révolte populaire alors la population en profite pour construire illégalement de façon effrénée. On parle de 500 000 constructions en contravention avec le code du bâtiment qui ont vu le jour en cinq mois", raconte-t-il.

Sans les retombées du tourisme, et peut-être bientôt sans revenus pétroliers, combien de temps le régime pourra-t-il tenir ? Les réserves de change dont dispose le régime étaient évaluées à environ 17 milliards de dollars avant le début de la crise, selon les chiffres officiels syriens. Un montant qui, en temps normal, permet au pays de financer ses importations pendant six mois.

"Il est possible que le régime ait délibérément sous-estimé ce montant, précise Lahcen Achy. Le pouvoir a peut-être d’autres coffres… Récemment, il a été dit que Rami Makhlouf avait déposé 1 milliard de dollars à la Banque centrale syrienne pour l’aider à maintenir le niveau de la livre. Et on ne sait pas non plus quelle est l’ampleur du soutien financier que l’Iran peut apporter…"

À la mi-juillet, le gouverneur de la Banque centrale de Syrie, Adib Mayaleh, a démenti toutes les informations faisant état d’un affaiblissement de l’économie : la livre syrienne reste forte, les réserves de la Banque centrale sont importantes, la plupart des investisseurs étrangers veulent poursuivre leurs activités dans le pays et les dépôts bancaires ont retrouvé leur niveau normal, avait-il assuré.

Jeunesse et chômage, les ingrédients pour une révolution

Pourquoi Damas et Alep restent-elles relativement épargnées par le mouvement de contestation ? Pour les économistes, il n'est pas surprenant que ce soient les petites et moyennes localités ou la périphérie des grandes villes qui soient le plus mobilisées : ces régions concentrent une population jeune, récemment urbanisée après une décennie d’exode rural, et confrontée à un chômage important.

"On ne s'attend pas à ce que le 7e arrondissement de Paris déclenche la révolution !", commente l'économiste syrien Samir Aïta.

Au cours des 10 dernières années, le régime a négligé les régions rurales, confrontée en plus à des périodes de sécheresse, ce qui a poussé de nombreux Syriens à émigrer, par exemple vers les banlieues de Damas. Sans perspectives dans leur pays, les jeunes ont aussi peu d'opportunités pour s'expatrier, notamment pour des postes qualifiés.