La section étrangère de la coalition des forces d'opposition au régime de Bachar al-Assad devrait voir le jour samedi à Berlin. Objectif : s’entendre sur un programme politique et renforcer le dialogue avec la nouvelle génération de militants.
Chez les jeunes militants syriens, la frustration grandit. Près de cinq mois après le déclenchement du mouvement de contestation à l'encontre du régime de Bachar al-Assad, leurs aînés n’ont pas encore réussi à s’entendre. La révolution n’a "ni leader ni projet politique précis", estiment-ils.
"Nous attendons que les opposants traditionnels parlent entre eux, prennent des décisions et s'unissent, indique depuis l’Allemagne Hozan Ibrahim, porte-parole des Comités locaux de coordination, l’un des multiples réseaux militants nés ces derniers mois. Il y a pour l’instant encore trop de positions différentes."
"Les anciens se déchirent, les jeunes coopèrent"
Réprimée depuis près d'un demi-siècle, l’opposition classique syrienne rassemble intellectuels en exil, Kurdes, communistes, islamistes ou encore représentants tribaux. La dernière tentative de rassemblement date de 2005, lorsque partis laïcs et Frères musulmans signent la "Déclaration de Damas" appellant à un changement "démocratique et radical". Ces derniers mois, cette opposition s'est réunie à plusieurs reprises en Turquie, sans réussir à se mettre d’accord sur une représentation ou une feuille de route communes. Lors de la dernière conférence dite de "salut national", mi-juillet à Istanbul, des membres de la délégation kurde ont par exemple quitté la réunion avant son terme, s'estimant marginalisés et inquiets pour leur future autonomie.
Des divisions qui tranchent avec l’unité revendiquée par les jeunes, très actifs dans les villes syriennes mobilisées ainsi que sur les réseaux sociaux, et complètement étrangers aux anciennes querelles politiques. "Pour l'instant, les opposants classiques se battent entre eux, pour des raisons idéologiques et d'ego, alors que les jeunes coopèrent", confirmait il y a quelques jours Radwan Ziadeh, directeur du Centre de Damas pour les études sur les droits de l'Homme basé à Washington.
"Les Syriens ont vécu dans une tombe politique pendant des décennies, ils ont perdu un peu de savoir-faire", explique à Paris l’intellectuel Burhan Ghalioune, 65 ans, qui affirme regretter lui aussi que l’opposition - dont il fait partie - ait tardé à parler d’une seule voix. "Les membres de l'opposition classique sont âgés et ont du mal à suivre le rythme de cette révolution."
Conséquence de ces divisions au sein de l’ancienne garde, certains jeunes n’hésitent pas à parler de "fossé" entre générations. Ils déplorent le manque de contacts, de dialogue et même de soutien. "Nous essayons de trouver une solution pour remédier à ce problème, assure Abdulsattar Attar, porte-parole de l’influent mouvement "The Syrian revolution 2011". Il faut que l'opposition classique écoute l'opinion de la rue. Ceux qui manifestent ont le droit de décider de l'avenir du pays."
Une coordination pour le changement démocratique
Haytham Manna, né en 1951 dans le sud de la Syrie et porte-parole de la Commission arabe des droits de l’Homme, est l’un de ces "opposants historiques". Il récuse le tableau dressé par une partie des jeunes : selon lui, les réunions ratées de Turquie n’étaient représentatives ni des partis politiques ni des nouveaux mouvements. "Des organisations et des personnalités étrangères, qui se sont éloignées du pays, ont voulu confisquer la lutte des Syriens. Ils agissaient dans leur propre intérêt."
En revanche, si la nouvelle est passée relativement inaperçue, l’opposition semble s'être finalement rassemblée au sein d’un Comité national de coordination pour le changement démocratique. Samedi, la section étrangère de cette coalition devrait officiellement voir le jour à Berlin, en Allemagne. Parmi ses membres, Haytham Manna mais aussi Burhan Ghalioune ou Rami Abdel Rahmane, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’Homme installé à Londres.
Fondée le 30 juin en Syrie, cette coordination rassemble des partis de gauche - l’Union socialiste arabe, le Parti communiste, le Parti ouvrier… -, 11 partis kurdes ainsi qu’une trentaine d’intellectuels, de jeunes et de personnalités indépendantes. "Il s’agit du plus grand rassemblement démocratique syrien, affirme Haytham Manna. Tous ceux qui sont pour un État démocratique et laïc sont les bienvenus."
Le Comité national de coordination a établi "un document politique", qui doit être approuvé. Il appelle entre autres à la fin de la violence, à la libération de tous les prisonniers politiques, à la mise en place d’une commission chargée de juger les responsables de la mort de centaines de Syriens [près de 2 000 civils ont été tués depuis mars, selon l’ONU], mais aussi à la mise en place d’un gouvernement de transition chargé d’établir une nouvelle constitution instaurant un État civil, le pluralisme politique et la séparation des pouvoirs.
"Les jeunes n’ont pas d’expérience politique"
Cette coordination prévoit également d’accorder au moins un tiers de ses sièges à des représentants de la nouvelle génération. "Les jeunes font un travail extraordinaire, assure Haytham Manna. J’espère qu’ils seront bientôt très nombreux au sein de ce mouvement." Burhan Ghalioune, directeur du Centre des études arabes et de l'Orient contemporain à Paris, réfute lui aussi l’idée d’une rupture entre générations : "Des membres de l'opposition classique et des partis politiques collaborent avec les militants sur le terrain, au sein des coordinations, et nous soutenons tous ouvertement les jeunes de la révolution", constate-t-il.
Si les jeunes sont plus influents sur le terrain ou auprès des médias, l’opposition traditionnelle affirme avoir un rôle à jouer, aux plans politique et diplomatique. "Ces jeunes n’ont pas d’expérience, note Haytham Manna. Comment décrire et traduire la situation qui règne dans le pays en un programme politique ? Ils ont aussi fait quelques erreurs, par exemple lorsque certains ont parlé de 3 millions de manifestants en Syrie, ce qui est un chiffre certainement exagéré. Ils font un travail remarquable, mais il faut être réaliste : ils ont besoin de l’expérience des démocrates qui ont milité pendant des années." "Il y a des dizaines, voire des centaines de groupes de jeunes militants différents. Comment peuvent-ils prendre des décisions ?" s'interroge aussi Rami Abdel Rahmane.
Un rôle que souhaite volontiers leur confier la nouvelle génération de militants. "La plupart d'entre nous étions engagés avant même le début de la révolution ; nous savons qui sont ces opposants et nous les respectons, explique Hozan Ibrahim, des Comités locaux de coordination. Lorsqu'ils parlent aux hommes politiques étrangers ou aux diplomates, ils soutiennent et aident notre mouvement. Et ils savent qu'ils ne peuvent pas agir sans nous : autrement, ils auraient déjà fait la révolution !"
"Nous ne voulons pas remplacer ces opposants après la révolution ni transformer nos réseaux en partis politiques, renchérit depuis Damas Amer el-Sadeq, porte-parole d'un autre groupe, l’Union des coordinateurs de la révolution syrienne. Nous voulons simplement faire tomber le régime et créer un espace politique entièrement libre. En revanche, nous serons toujours là pour surveiller les actions de ceux qui seront au pouvoir."