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La justice française diligente une enquête sur la directrice générale du FMI

La justice s'apprête à ouvrir une enquête sur le rôle joué, en 2008, par Christine Lagarde dans l'affaire opposant Bernard Tapie au Crédit Lyonnais. Cette procédure, estime son avocat, n'est "aucunement incompatible" avec ses fonctions au FMI.

La justice française a tranché : la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, fera bien l'objet d'une enquête sur son rôle dans l'affaire opposant l'homme d'affaires Bernard Tapie à la banque du Crédit Lyonnais. Quelques mois seulement après le départ de Dominique Strauss-Kahn, accusé de tentative de viol par une femme de chambre de l'hôtel Sofitel de New York, la France va-t-elle de nouveau ébranler l'institution en pleine crise financière internationale ?

L a commission des requêtes de la Cour de justice de la République (CJR) a émis un "avis favorable" ce jeudi à l'ouverture d'une enquête visant Christine Lagarde. Les faits qui lui sont reprochés remontent à 2007. À l'époque, Christine Lagarde, qui est alors ministre de l'Économie et des Finances, décide de délaisser la procédure judiciaire classique et d'avoir recours à un tribunal arbitral privé pour mettre fin au litige opposant depuis des années Bernard Tapie au Crédit Lyonnais - dont l'actionnaire principal était alors l'État - concernant la vente litigieuse de la marque de sport Adidas, en 1993. En 2008, toujours contre l'avis de ses services, elle ne conteste pas le verdict de ces juges privés et Bernard Tapie empoche 285 millions d'euros d'indemnités (400 millions avec les intérêts).

Alors que le procureur général près la Cour de cassation avait soupçonné "un abus d'autorité", les magistrats de la CJR ont finalement retenu la "complicité de faux" et la "complicité de détournement de biens publics". Si elle était condamnée, Christine Lagarde encourrait jusqu'à 10 ans de prison et de 150 000 euros d'amende.

Une procédure "aucunement incompatible" avec ses fonctions

Aussitôt après l'annonce de la justice française, l'avocat de Christine Lagarde, Me Yves Repiquet a affirmé que cette procédure n'était "aucunement incompatible" avec ses fonctions. Les instances dirigeantes du FMI, qui ont étudié plusieurs candidatures avant de retenir celle de la Française, étaient en effet au courant de la possibilité qu'une procédure judiciaire soit ouverte à son encontre.

"Dans la mesure où le FMI était informé de ce risque éventuel d'ouverture d'une enquête, je pense que l'avocat de Christine Lagarde a raison lorsqu'il dit que cette décision ne devrait pas avoir un grand impact sur elle ni sur son mandat à la tête de l'organisation, estime Christopher Mesnooh, avocat au barreau de Paris, associé au sein de Field Fisher Waterhouse. Rien dans cette annonce ne compromet sa capacité à assumer ses fonctions avec dignité et autorité. Cela aurait bien sûr été très différent si le FMI n'avait pas été au courant."

Interrogée sur ce dossier lors de sa première conférence de presse en tant que directrice générale du FMI, le 6 juillet à Washington, Christine Lagarde avait assuré n'avoir "aucune inquiétude", se défendant de toute procédure illégale et affirmant que le dossier était "vide". Ce jeudi, l'organisation financière lui a réaffirmé sa confiance : "Le conseil [d'administration] est persuadé qu'elle sera capable d'exercer efficacement ses fonctions", a fait savoir le FMI dans un communiqué.

Si l'investigation, menée par trois juges indépendants, doit débuter dès la mi-août, tous les experts s'accordent à dire que la procédure pourrait durer plusieurs années avant d'aboutir à un non-lieu ou à une condamnation. En 2007, le tribunal d'arbitrage privé avait par exemple enquêté pendant une année avant de rendre sa décision dans l'affaire Bernard Tapie-Crédit Lyonnais. "Cette enquête peut prendre très longtemps, confirme Christopher Mesnooh. Il y a des points juridiques compliqués et pointus. Le processus peut être accéléré s'il y a une réelle volonté politique de le faire. Mais avec l'échéance électorale de 2012, on peut penser que cela va prendre plusieurs années." Nommée le 5 juillet à la tête du FMI, Christine Lagarde doit effectuer un mandat de 5 ans.

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"La ligne officielle du FMI c'est 'no comment' "

Une enquête "nuisible" pour l'image de la France

Quelques mois seulement après le départ de Dominique Strauss-Kahn, l'affaire peut toutefois embarrasser Paris sur la scène internationale. "Christine Lagarde aurait sans doute préféré échapper à cette procédure judiciaire, estime Phillipe Gassot, correspondant de FRANCE 24 à Washington. Les Américains n'aiment pas trop que la justice mette son nez dans les affaires des personnalités qui dirigent les institutions internationales ; ils préfèrent davantage de discrétion... L'affaire DSK fait encore sporadiquement la Une des journaux aux États-Unis, et il est évident que cette enquête va susciter des commentaires."

Qu'est-ce que la CJR ?

La Cour de justice de la République est une juridiction d’exception créée en 1993, suite au scandale du sang contaminé et la multiplication des affaires liées à la politique. Elle n’est compétente que pour des infractions commises par des ministres durant l’exercice de leurs fonctions. Elle compte quinze juges : trois magistrats de la Cour de cassation et douze parlementaires – six députés et six sénateurs – élus par leurs pairs.

Selon Frédéric Bonnevay, économiste et associé chez Anthera Partners, cette procédure est même "nuisible" à la France. "Elle est contre-productive, assure-t-il. Il aurait fallu prendre en compte l'intérêt supérieur de l'État avant de mettre en cause la directrice générale du FMI. Ouvrir une enquête, étant donnés les circonstances et les évènements récents, me semble peu approprié. Cela risque fort avoir des échos défavorables dans l'opinion publique, et notamment dans l'opinion américaine. Cela risque également d'être une distraction pour les dirigeants du FMI, alors qu'ils ont déjà fort à faire."

En France même, l'opposition a unanimement salué la décision de la Cour de justice de la République. C'est d'ailleurs à la demande de parlementaires socialistes que la justice avait été saisie. Pour la gauche, Bernard Tapie, qui a soutenu Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2007, aurait bénéficié d'une "faveur" du gouvernement dans cette affaire. "Pourquoi le gouvernement a-t-il utilisé une procédure tout à fait inhabituelle, un tribunal privé, pour régler un différend avec Bernard Tapie et au bout du compte faire un énorme cadeau financier qui a choqué tant de Français ?", s'est interrogé ce jeudi le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault.

"Dans la République telle que je la conçois, la voie judiciaire est la seule que l'État doit admettre pour régler ses litiges avec des personnes privées. Le reste relève d'une suspicion d'arrangements", a renchéri François Hollande, candidat à la primaire du PS .

Au-delà de l'actuelle patronne du FMI, c'est donc bien le pouvoir qui est visé. Dans une tribune publiée dans le quotidien Le Monde, le docteur en droit public Hubert Lesaffre affirme que Christine Lagarde n'a pu prendre de telles décisions sans "instructions préalables" du président français. "Il est inconcevable que Christine Lagarde ait agi autrement que sur ordre de Nicolas Sarkozy", écrit-il.

La droite a elle répété ce jeudi son soutien "total" à la patronne du FMI. "L'ouverture de cette procédure, tout à fait normale, permettra avant tout de faire toute la lumière sur ce sujet, loin des vaines tentatives d'amalgames et des insinuations du PS", a déclaré l'UMP dans un communiqué.