logo

"Le discours de Saleh est une manœuvre politique destinée à amadouer l’opposition"

Un mois après avoir été blessé dans l’attentat contre son palais, le président yéménite, affaibli, s’est adressé à son peuple jeudi soir depuis Riyad. Une allocution qui a tout d’une manœuvre dilatoire, selon Franck Mermier, chercheur au CNRS.

Pour la première fois depuis son hospitalisation à Riyad, en Arabie saoudite, il y a plus d’un mois, le président yéménite, Ali Abdallah Saleh, s’est exprimé, jeudi soir, à travers un discours préenregistré et diffusé à la télévision nationale. Méconnaissable, le visage brûlé et le corps recouvert de bandages, l’homme visiblement souffrant a appelé au dialogue et à un partage du pouvoir "dans le cadre de la Constitution et de la loi yéménite".

"Sur des bases démocratiques, en accord avec la loi et selon la Constitution du Yémen qui prévoit le multipartisme et la liberté d’opinion, j’accepte de m’associer aux autres partis politiques […] Nous ne sommes pas contre la participation, nous sommes pour la participation de toutes les forces politiques, même celles de l’opposition", a-t-il déclaré dans une courte allocution d’une quinzaine de minutes. Pas un mot, en revanche, sur son éventuel retour au pouvoir et au pays…

" Saleh est mort dans nos cœurs"

Selon Charlotte Velut, correspondante de FRANCE 24 à Sanaa, l’intervention de Saleh lui a avant tout permis de faire acte de présence. "C’était un discours vide, sans annonces, qui misait simplement sur la forme, explique-t-elle. Il voulait montrer qu’il était vivant. Mais cet effet d’annonce n’a pas déstabilisé les dissidents politiques qui souhaitent toujours empêcher son retour. Rien n’a changé."

Dans les rues de la capitale yéménite, les critiques fusent. "C’est toujours les mêmes phrases qu’il nous sert", râle un Sanaani, cité par l’agence Reuters. "Peu importe ce qu’il dit, Saleh est mort dans nos cœurs et mort politiquement. Nous ne lui permettrons jamais de revenir au Yémen, déclare un autre. Si ses fils [qui contrôlent une partie de l'armée et des organes de sécurité, ndlr] ne partent pas d’eux-mêmes, nous les chasserons !"

"Poudre aux yeux"

Des réactions aussi virulentes que justifiées, selon Franck Mermier, spécialiste du Moyen-Orient, et chercheur au CNRS. "Saleh n’a toujours eu qu’un seul objectif : associer les dissidents dans le cercle du pouvoir pour mieux les surveiller et les neutraliser, explique-t-il. Son discours est une manœuvre politique destinée à amadouer l’opposition, mais cette dernière a très bien compris que sa main tendue n’était que de la poudre aux yeux. Saleh n’a évoqué ni un plan de sortie de crise, ni fait référence à sa démission, il n’a donc pris en compte aucune de leurs revendications."

Habile politicien, le chef de l’État yéménite n’a pas choisi le jour de son intervention par hasard. "Le 7 juillet correspond à la date anniversaire de l'entrée des troupes nordistes à Aden, ex-capitale du Yémen du Sud, le 7 juillet 1994, pour écraser une tentative de sécession des sudistes, rappelle le chercheur. Saleh a une nouvelle fois voulu se poser en garant de l’unité du pays. Il ne fait que peu de cas des journées de manifestations et des violences qui se multiplient dans le pays."

Élans de joie des pro-Saleh

Contesté depuis le mois de janvier par des milliers de manifestants réclamant son départ, Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 33 ans, a refusé à trois reprises - à chaque fois au dernier moment - de signer un accord de transition élaboré par le Conseil de coopération du Golfe (CCG) qui réunit les pays de la région. Ce plan prévoyait qu'il parte dans les 30 jours suivant la signature de l'accord. "Les gens sont las d’attendre des promesses de changement qui ne viendront pas", ajoute Franck Mermier.

Pourtant, l’apparition télévisuelle du leader yéménite n’a pas fait que des déçus. De nombreuses scènes de joie ont été recensées dans le pays quelques minutes après son intervention. Rassurés par son état de santé, les partisans du président ont exulté. "Les pro-Saleh sont descendus dans les rues de Sanaa pendant plusieurs heures. Il y a eu des feux d’artifice, des coups de feu. De vrais élans de joie", raconte Charlotte Velut.

"Si Saleh n’a pas convaincu l’opposition, il a toutefois gagné des points", concède Franck Mermier. D’un point de vue affectif déjà. "Il s’est sûrement attiré la sympathie des Yéménites en se mettant en scène, presque mourant". D’un point de vue médiatique ensuite. "Il a montré au monde qu’il tenait toujours les rênes du pouvoir". Reste à savoir pour combien de temps ? "Son pays continue de sombrer lentement vers l’instabilité sécuritaire et sa légitimité, sérieusement ébranlée par 33 années de pouvoir et de corruption, ne tient plus qu’à un fil…", conclut le chercheur.