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Près de cinq mois après la chute du régime de Moubarak, des milliers d'Égyptiens sont rassemblés sur l'emblématique place Tahrir, au Caire, pour exhorter l'armée au pouvoir à accélérer la transition démocratique.

Près de cinq mois après la chute du régime d’Hosni Moubarak, des milliers d'Égyptiens étaient rassemblés sur la grande place Tahrir du Caire, vendredi matin. Motif de la grogne ?  La manière dont l'armée gère la transition promise vers la démocratie. "Tout le monde parle de cette manifestation depuis un mois", assure Sonia Dridi, correspondante de FRANCE 24 en Égypte, qui conjecture une mobilisation gigantesque. "On s’attend à un rassemblement monstre de jeunes, de moins jeunes et de militants de tout bord politique."

Selon la correspondante, tous ont le même mot d’ordre à la bouche : accélérer la transition démocratique du pays. "Les gens en ont marre d’attendre le changement, explique-t-elle. Pour eux, rien n’a vraiment bougé depuis l’ère Moubarak". Les responsables de l'ancien régime sont toujours impunis, les procès civils devant les tribunaux militaires - entre 7 000 à 10 000 depuis février, selon des organisations égyptiennes et internationales - se multiplient. L'armée, portée aux nues après la démission du raïs, est aujourd'hui la cible de vives critiques.

"Face à cette situation qu’ils jugent sclérosée, le peuple a modifié ses priorités. Si l’écriture d’une nouvelle Constitution tient toujours à cœur des manifestants, elle n’est plus au centre de leur revendication, explique Sonia Dridi. Aujourd’hui, les Égyptiens souhaitent nettoyer le ministère de l’Intérieur des anciens caciques du régime, exigent leur jugement et s’opposent aux tribunaux militaires."

Climat tendu

Autant de revendications que l’on retrouve sur la Toile. Le groupe Facebook "La coalition des jeunes de la révolution", principale fédération des mouvements d’internautes qui ont initié le soulèvement en janvier, a lancé sur sa page d’accueil un message sans équivoque : "Nous voulons un vrai nettoyage, de vrais procès et un vrai gouvernement". Un autre groupe d’internautes appelle également à davantage de démocratie et de justice : "Ce pays doit changer, et les corrompus doivent être jugés", peut-on lire le site Nous sommes tous Khaled Saïd - du nom d'un jeune homme d’Alexandrie mort en 2010 à la suite de violences policières.

Depuis une semaine, des incidents entre manifestants et police se sont multipliés dans le pays. Mercredi, des affrontements ont éclaté à Suez, dans le nord-est de l’Égypte, après la libération sous caution de plusieurs policiers accusés d'avoir tué des manifestants lors du soulèvement. La répression avait fait plus de 800 morts et 6 000 blessés, essentiellement pendant les premiers jours de la révolution, quand la police a tiré à balles réelles sur les protestataires.

Haut lieu de la protestation au début de l'année, l'emblématique place Tahrir, au Caire, s'est elle aussi à nouveau embrasée : la semaine dernière, quelque 4 000 manifestants se sont affrontés aux forces anti-émeutes.

"À situation nouvelle, transition compliquée"

"L’armée est un peu dépassée, elle n’a pas l’habitude que l’on conteste son autorité, qu’on la bouscule de la sorte, analyse Mahmoud Hussein, écrivain et politologue égyptien, contacté par France24.com. Il est tout à fait légitime que les Égyptiens soient impatients, mais il faut laisser du temps au temps pour que les choses changent en profondeur. À situation nouvelle, transition compliquée."

L'armée a tenté de calmer le jeu en annonçant à la hâte la création d'un fonds d'aide sociale et médicale de 16 millions de dollars pour les familles des quelque 850 personnes tuées en janvier et février. Le numéro deux de l'armée égyptienne, le général Sami Anan, a aussi répondu aux critiques en affirmant l'engagement des militaires à "organiser des élections libres et transparentes". Selon le journal Al-Ahram, daté de ce jeudi, le gouvernement égyptien compte limoger les gradés de la police impliqués dans la répression sanglante des manifestations de janvier.

En attendant, "la population se serre les coudes", analyse Sonia Dridi. De nombreux rassemblements sont prévus à travers le pays, en particulier sur la place Tahrir.

Le puissant mouvement des Frères musulmans, qui avait initialement prévu de ne pas s'associer aux manifestations, a finalement annoncé qu'il s'y joindrait. "Leur présence sera de nature à renforcer la mobilisation", explique la correspondante de FRANCE 24. Ils ne pouvaient pas rater ce grand rendez-vous national, qui tire sa force de sa haine du régime de Moubarak, un leitmotiv de leur programme politique."