logo

Avec Ollanta Humala, le Pérou opère un virage à gauche

Le candidat nationaliste de gauche, Ollanta Humala, a remporté la présidentielle avec 51,5 % des voix contre sa rivale de droite Keiko Fujimori. Retour sur le parcours d'un ancien militaire réputé proche du numéro un vénézuélien, Hugo Chavez.

"Nous avons gagné", a proclamé, dès dimanche soir, Ollanta Humala, 49 ans, le candidat de gauche à l'élection présidentielle péruvienne. Les résultats définitifs ne sont tombés que le lendemain : Ollanta Humala a remporté le scrutin présidentiel avec 51,5 % des voix contre 48,5 % pour sa rivale de droite Keiko Fujimori, 36 ans, fille aînée de l’ancien dictateur Alberto Fujimori (1990-2000) condamné à 25 ans de prison pour violation des droits de l’Homme. Le candidat de gauche succède ainsi à Alan Garcia qu’il avait affronté lors de l’élection présidentielle de 2006.

Candidat de la gauche nationaliste d’origine quechua et grand admirateur du président vénézuélien, Hugo Chavez, Ollanta Humala a dû mettre de l’eau dans son vin pour vaincre la méfiance des Péruviens. Car c’est en partie sa proximité avec le chef de file de la gauche radicale en Amérique latine qui lui avait coûté la victoire face à Alan Garcia en 2006 - Chavez incarnant un modèle de socialisme étatique extrêmement peu populaire au Pérou.

En 2011, Humala a donc pris ses distances avec le leader vénézuélien, s’est attaché tout au long de la campagne à modérer son image et à recentrer ses discours… pour se rapprocher du modèle de gauche modérée de Lula, le charismatique ex-président brésilien.

"Petit soldat de Chavez"

Il est même allé jusqu’à intégrer dans son équipe de marketing politique plusieurs membres du staff qui avait mené Lula à la présidence en 2002. Sa victoire a néanmoins été beaucoup moins éclatante que celle de son nouveau modèle. Ses amitiés présumées avec le leader vénézuélien ont donné du grain à moudre à son opposante, Keiko Fujimori, qui l’a taxé de "bon soldat d’Hugo Chavez" tout au long de la campagne. L'attaque fut plutôt efficace : ces derniers mois, chaque sondage favorable au candidat de gauche entraînait une chute de la Bourse de Lima.

Des soubresauts qui témoignent de l'inquiétude des marchés. "Il ne s'agit plus seulement de convaincre les Péruviens, en vue d'un appui social, mais le monde économique", observait à l’AFP Luis Benavente, politologue du centre d'opinion publique de l'Université catholique de Lima. Sa volonté d’opérer une "grande transformation du pays" pour "que la croissance arrive dans tous les porte-monnaie" et ses discours passionnés contre les "pouvoirs économiques" ont, en effet, eu le don d’effrayer les investisseurs.

Pourtant, dans ce pays où plus d’un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, les promesses d’aides sociales et d’augmentations des salaires minimums d’Humala ont payé. Davantage en tout cas que celles de Keiko Fujimori, qui, face aux succès remportés par le modèle économique libéral depuis dix ans, s’était engagée à le préserver.

Opposant historique au clan Fujimori

À l’instar de sa rivale, Ollanta Humala n’a pas hésité à jouer sur la peur, en brandissant le spectre d’un retour au pouvoir du clan Fujimori. Il s’est attaché à rappeler minutieusement les exactions du père de Keiko, le dictateur Alberto Fujimori, instigateur de massacres et de disparitions dans les années 1990 – les historiens estiment à 13 000 le nombre de personnes disparues pendant les dix ans du règne d’Alberto Fujimori. "Nous avons déjà vécu ce que propose l'autre camp. Nous avons connu la dictature des années 1990", a notamment lâché Humala à la fin de sa campagne.

C’est d’ailleurs en se soulevant contre le dictateur que le militaire se fait connaître des Péruviens en octobre 2000. Alors lieutenant-colonel en poste près de la frontière chilienne, il mène une révolte militaire contre le régime autoritaire de Fujimori. Le soulèvement échoue, Humala atterrit en prison. Libéré quelques mois plus tard après la fuite de Fujimori vers le Japon, l’homme est accueilli en héros, puis amnistié.

Passé militaire flou

La carrière d’Ollanta ("le guerrier qui voit tout", en inca) dans l’armée, où il s’est enrôlé à l’âge de 20 ans, l’a amené à combattre la guérilla maoïste du Sentier Lumineux et le mouvement révolutionnaire Tupac Amaru, qui semaient la terreur dans le pays durant les années 1990. Une période sombre de son histoire. De lourds soupçons de crimes (torture, enlèvements et exécutions) perpétrés contre les populations civiles pèsent contre lui. Il a été acquitté par la justice, le témoin principal étant opportunément revenu sur ses déclarations. Mais plusieurs associations de défense des droits de l’Homme restent persuadées de sa culpabilité.

Parallèlement à sa carrière militaire, Humala poursuit une formation en sciences politiques à l’Université catholique de Lima, suivant les pas de son père, Isaac, professeur de marxisme-léninisme et artisan d’une idéologie de "nationalisme ethnique" prônant la revanche des Indiens et métis sur les Blancs. Il décroche une maîtrise en 2001. Sa carrière militaire l’amène jusqu’en France en 2003 où il poursuit ses études à l’Institut parisien des hautes études pour l’Amérique latine. De retour à Lima, il prend ses distances avec les opinions radicales de sa famille et consacre son entrée dans le monde politique par la formation du Parti nationaliste péruvien (PNP) en 2005.

Désormais aux commandes, Ollanta Humala doit s’attacher à redresser son pays notamment sur le plan social. Il a suscité un immense espoir pour les habitants - principalement indiens - des Andes ou de l'Amazonie, qui n’ont pas vu leurs conditions de vie s’améliorer malgré la croissance exceptionnelle affichée par le pays depuis dix ans (8,7 % en 2010). Le Pérou est considéré comme l’un des plus mauvais élèves d’Amérique latine en matière d’éducation, de développement, d’accès aux soins et à l’emploi. La tâche s’annonce ardue pour le nouveau président péruvien. Il n’a pas obtenu la majorité au Congrès et devra composer avec une opposition peu encline aux changements politiques radicaux.