!["Il n'est pas impossible de voir ressurgir des émeutes de la faim" "Il n'est pas impossible de voir ressurgir des émeutes de la faim"](/data/posts/2022/07/16/1657965337_Il-n-est-pas-impossible-de-voir-ressurgir-des-emeutes-de-la-faim.jpg)
La sécheresse qui sévit en France pourrait avoir des conséquences bien au-delà de l'Hexagone. Premier producteur de blé en Europe, la perspective d'une nouvelle hausse des prix des céréales est susceptible d'affecter directement le Maghreb.
Les beaux jours sont déjà là. Un peu trop tôt, peut-être. Cinquante départements français, victimes d'une faible pluviométrie, sont soumis à des mesures de restrictions sur certains usages de l'eau. La sécheresse qui sévit actuellement dans ces régions de l'Hexagone est de mauvais augure pour la sécurité alimentaire nord-africaine. Le Maghreb, principal importateur de blé européen, devrait être particulièrement affecté par les mauvaises récoltes céréalières attendues en France.
Explications avec Renaud de Kerpoisson, président-fondateur de la société Offre et demande agricole (ODA), spécialiste dans la gestion du risque des prix des matières premières agricoles.
FRANCE 24 : Quelles sont les principales conséquences de la sécheresse en France ?
Renaud de Kerpoisson : L’aridité persistante, les restrictions d’eau et la faible pluviométrie annoncent des moissons céréalières françaises en forte baisse pour l’année 2011. On s’attend à une production totale de 7 millions de tonnes cette année, contre 12 millions en 2010. Un chiffre alarmant qui placerait la moisson française de 2011 au rang des plus mauvaises récoltes depuis dix ans, et qui pourrait faire écho à la sécheresse gravissime qui avait frappé la France en 1976.
Autre conséquence directe de cette sécheresse française : une hausse supplémentaire des prix des céréales sur les marchés, déjà fortement élevés. Les prix à l'exportation des céréales ont augmenté d'au moins 70% depuis février 2010, selon les chiffres de la FAO. Les causes de cette hausse sont connues : l’été 2010 a été caniculaire en Russie, il y a eu les inondations en Australie et en Asie… Autant de catastrophes naturelles qui ont contribué à affoler les marchés.
En 2007 et 2008, des émeutes dites de la faim ont éclaté dans de nombreux pays du continent africain (Burkina Faso, Cameroun, Sénégal, mais aussi Maroc), ainsi qu’en Haïti et aux Philippines. Une situation principalement due à la flambée des cours des céréales sur les places financières, lesquels avaient atteint des niveaux historiques.
FRANCE 24 : La première victime de cette hausse des prix et de ce faible rendement, pourrait être le Maghreb, premier importateur de blé européen ?
R.d.K : En effet, La Libye, l'Algérie, le Maroc, et la Tunisie importent d'Europe 21 millions de tonnes de blé chaque année, dont 10 millions de tonnes proviennent de France. De facto, la pénurie de blé qui se prépare ne se limite donc pas seulement aux frontières de la France mais menace sérieusement le Maghreb dont l'Hexagone est le principal pourvoyeur en blé.
La situation est d'autant plus problématique que l’Europe en général et la France en particulier vont terminer l’année avec un très bas niveau de stocks de blé tendre : nous disposons seulement de deux millions de tonnes de réserves, contre 16 millions en 2008. Des chiffres qui exerce une pression supplémentaire sur les exportations futures…
FRANCE 24 : Doit-on alors craindre une crise alimentaire au Maghreb ?
R.d.K : La situation alimentaire dans cette région pourrait en effet rapidement devenir problématique. Le Maghreb est plus précisément confronté à un problème à plusieurs détentes. Ni la France ni le reste de l’Europe ne peuvent l’approvisionner en blé. L’Ukraine, par exemple, a un blé de mauvaise qualité. La Russie, quant à elle, n’a toujours pas levé son embargo sur ses exportations [Moscou avait imposé un embargo sur ses exportations de blé et de produits dérivés en raison de la chute des récoltes due à la canicule qui a frappé le pays durant l’été 2010, NDLR].
La seconde difficulté provient de la flambée des prix que j’ai évoquée plus haut… Si la tonne de blé frôle les 300 euros - comme on le redoute – il sera de plus en plus dur pour ces pays d'acheter du blé. L’Afrique du Nord se dirige probablement vers un grave problème d’approvisionnement, ce qui ne pourra qu’engendrer des tensions sur le budget des ménages, et attiser la colère de la population… En clair, dans les prochains moins, il n'est pas impossible de voir ressurgir des émeutes de la faim.
Les départements français soumis à des restrictions d'usage de l'eau (situation au 18 juillet 2011)