
La révolte en Syrie touche indirectement la Turquie voisine. Ankara et Damas se sont rapprochées ces derniers temps, mais comment les autorités turques vont-elles gérer la crise syrienne ?
Une frontière de 850 kms sépare la Turquie de la Syrie. Rivaux pendant la guerre froide, Ankara et Damas se sont largement rapprochés à la fin des années 1990.
Mais depuis la crise qui secoue la Syrie, la Turquie s'inquiète. Dans le village turc de Güveçli, depuis lequel on peut voir le territoire syrien, les habitants ont tous de la famille de l'autre côté de la frontière. “On espère que ça va se calmer dit un habitant. On est voisins et comme des frères, on a de la famille là-bas, si le régime tombe, bien sûr cela affectera la Turquie.”
Le 30 avril dernier quelques Syriens ont traversé la vallée pour se réfugier côté turc. 270 d'entre eux ont été pris en charge par le Croissant Rouge turc dans un camp strictement tenu à l'écart par les autorités. Parmi les réfugiés, certains auraient profité du chaos ambiant pour chercher de meilleures conditions de vie en Turquie, mais d'autres auraient subi de réelles pressions de la part du régime syrien. “Certains ne veulent pas rentrer, ils veulent rester ici, ils disent que s'ils rentrent, Assad va les tuer”, nous confie l'un des soldats qui a pour mission de surveiller le camp.
La levée des visas entre la Turquie et la Syrie l'an dernier pourrait faciliter l'afflux de réfugiés à la frontière. Mais cela a aussi permis de dynamiser le commerce entre les deux pays.
Les échanges bilatéraux ont augmenté de 43% en 2010 pour s'élever à 1,8 milliards d'euros.
Pour le président de la chambre de commerce d'Antakya, les troubles en Syrie risquent de remettre en cause durablement cette dynamique.
“La suppression des visas a créé une vraie possibilité de nouveaux partenariats commerciaux entre nos deux pays; explique Hikmet Cincin. Cela a aussi humanisé notre relation, on avait même commencé à explorer ensemble les marchés du Moyen-Orient. La dégradation de la situation est inquiétante. Le commerce transfrontalier non enregistré a déjà chuté de plus de 50%”.
La ville d'Antakya, à 80 kilomètres seulement d'Alep, est habituellement prise d'assaut par les hommes d'affaires et les touristes syriens. Depuis les troubles, ils ne viennent plus. Même si récemment, la Turquie a haussé le ton contre le président Assad, elle cherche toujours une sortie de crise pacifique, avec le maintien du régime actuel, afin de préserver ses intérêts économiques et stratégiques.
“La Turquie a utilisé la Syrie comme porte d'entrée pour sa réintégration dans la politique du monde arabe durant la dernière décennie, et si la Syrie ne fonctionne pas cela veut dire que toute la politique arabe de la Turquie va devoir être redéfinie”, analyse Hugh Pope, directeur de International Crisis Group pour la Turquie.
Pour l'instant, Ankara n'a pas su convaincre le clan Assad de mettre en place des réformes. Dans la rue arabe, le prestige de la Turquie est réel. Mais en Syrie son influence a été limitée depuis le début de la révolte. Les militants pro-démocratie auraient espéré des prises de position plus fortes de cette Turquie qu'ils érigent parfois en modèle.