Alors que la France et l'Otan intensifient leurs frappes aériennes sur la Libye, les humanitaires tirent la sonnette d'alarme. Premières victimes du conflit, les civils -étrangers ou libyens- cherchent à fuir le pays par tous les moyens.
Il voulait quitter la Libye à tout prix. Liban Sheikh Ibrahim, un Somalien de 32 ans, craignait d’être pris pour un mercenaire de Mouammar Kadhafi par les hommes de l’insurrection. En route vers la Tunisie, il a été arrêté avec sa famille par des insurgés armés, à deux doigts de l’exécuter sur le bitume.
"Tuez-les, ce sont des mercenaires", auraient crié les rebelles, en pointant leurs armes vers Liban et sa famille, agenouillés au sol, mains derrière la tête.
Sauvés de justesse grâce à l’intervention du chauffeur, Liban Sheikh Ibrahim et les siens sont arrivés sains et saufs au camp du poste frontière de Ras Jdir, entre la Libye et la Tunisie, où Liban a pu raconter son histoire aux aides humanitaires d’Amnesty International.
Comme lui, de nombreux travailleurs étrangers subsahariens, originaires du Niger, de Somalie ou d’Érythrée, craignent d’être pris pour des mercenaires africains recrutés par le colonel Kadhafi pour renforcer ses troupes et d'être attaqués par les insurgés.
Depuis le début du conflit le 17 février, environ 236 000 personnes, Libyens ou travailleurs étrangers ont traversé les frontières occidentales libyennes, selon Amnesty International. Mais à l’est du pays, ils sont encore des milliers, coincés au milieu des combats.
À Misrata, la situation humanitaire se dégrade
Entre 5 000 et 10 000 travailleurs Libyens et étrangers sont pris au piège à Misrata, dans l’est de la Libye, à quelque 200 kilomètres de Tripoli, attendant dans des conditions désastreuses d’être évacués de la ville assiégée par les insurgés.
"Des milliers de réfugiés s’entassent le long des routes, sous des abris de fortune, avec un morceau de plastique en guise de tente et sans couverture", raconte Andrei Slavuckij, médecin pour l'association Médecins Sans Frontières interrogé par France24.com.
"Ils n’ont pas assez de nourriture, pas d’eau, de l’électricité un jour sur trois. Ils ont besoin d’une grande assistance d’urgence et pourtant ils sont abandonnés à leur destin, il n’y a pas assez de moyens", poursuit-il.
Andrei Slavuckij note par ailleurs les risques d’épidémie liée aux conditions d’hygiène, à la nourriture et la promiscuité dans les camps de migrants : "Il y a quelques jours, une centaine de patients a été touchée par de violentes diarrhées. Épidémie ou intoxication alimentaire ? Nous ne savons pas encore les causes, mais les risques d'épidémie sont très élevés dans de telles conditions de vie".
Des opérations d’évacuation d’urgence
L’organisation internationale pour les migrations (OIM) a annoncé préparer une troisième opération d’évacuation ce mardi soir, grâce à une promesse de fonds des autorités britanniques. Mille personnes pourraient être sortis du pays dans la soirée, prioritairement les travailleurs subsahariens.
"C’est le groupe que nous allons viser pour la prochaine opération", a indiqué Jemini Pandya, porte-parole de l’OIM, lors d’un point presse.
itDeux autres opérations menées en une semaine par l’OIM ont déjà permis de faire sortir plus de 2 000 travailleurs migrants bloqués à Misrata et Benghazi. Le Comité internationale de la Croix Rouge (CICR) en a évacué 618 autres par la mer lundi dernier.
"Chaque opération d’évacuation attire à chaque fois vers les camps de Misrata de nouvelles personnes qui souhaitent partir d’urgence", avertit cependant Andrei Slavucki qui s’attend à voir affluer de nouveaux prétendants au départ dans les jours à venir.
L'espoir du corridor humanitaire
Des dizaines de blessés attendent également d’être évacués. MSF a déjà procédé ce week-end à l’évacuation de 75 victimes de guerre jusqu’à la Tunisie par voie maritime. "Un exploit extraordinaire", selon le docteur Slavuckij qui estime le nombre de blessés en attente à Misrata à plusieurs centaines.
"Il y a des médecins et des réserves de médicaments. Mais on manque d’infirmiers. Et surtout, il faut évacuer les blessés au fur et à mesure afin de faire de la place pour ceux qui arrivent en plus chaque jour", continue le médecin.
Parmi eux, des dizaines de civils, victimes collatérales du conflit qui ne semblent pas trouver d'issu. Selon Human Rights Watch, 16 civils ont été tués à Misrata depuis le 14 avril. Un millier de personnes y aurait péri en six semaines et 3 000 auraient été blessées, selon des sources médicales.
L’Onu a reçu l’autorisation du gouvernement de Kadhafi d’y envoyer une mission du Bureau de la coordination des affaires humanitaires. Tripoli a par ailleurs garanti "un passage sûr" aux équipes internationales dans les zones qu’il contrôle.