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À Duékoué, les massacres perturbent la réconciliation

Dans la région de Duékoué, l’affrontement entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara a donné lieu à de nombreuses exactions. Reportage dans cette région instable, où l’ONU et plusieurs organisations condamnent les massacres perpétrés par les deux camps.

Certaines images de ce reportage sont susceptibles de heurter la sensibilité des spectateurs.

Une semaine après l’arrestation du président ivoirien sortant Laurent Gbagbo et l’arrivée au pouvoir de son rival Alassane Ouattara, la Côte d’Ivoire tente d’entamer un processus de réconciliation.

Au lendemain de sa prise de fonction effective, le 11 avril, le président Ouattara avait promis aux Ivoiriens que la justice de leur pays jugerait "tous ceux qui ont commis des crimes de la même manière."

Lors d’une conférence de presse, il avait aussi annoncé qu’il demanderait l’intervention de la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye afin "d'engager des investigations" sur les massacres commis depuis le scrutin présidentiel du 28 novembre 2010.

Si l’ensemble du territoire ivoirien a été le théâtre de combats entre forces pro-Ouattara et pro-Gbagbo, l’ouest du pays a été particulièrement touché.

Caroline Dumay, envoyée spéciale pour FRANCE 24, s’est rendue dans la région de Duékoué, où les Forces républicaines de Côte d’Ivoire, soutien armé de Ouattara, et leurs sympathisants sont accusés d’avoir commis des centaines d’exactions.

Pour l’heure, aucun bilan précis n’est connu. Mais le gouvernement Ouattara évoque le chiffre de 330 morts dans la région. La Croix-Rouge a pour sa part compté 800 victimes dans le seul quartier du Carrefour de la ville de Duékoué.

Victimes civiles

Selon les sources, le nombre de victimes varie du simple au triple mais une chose est désormais certaine : des massacres ont bien eu lieu. Un témoin, sous couvert d’anonymat, a décrit à FRANCE 24 l’une des photos qu’il a prise d’un civil tué devant ses yeux : "Ce monsieur, là, a été tué devant moi. C'est un malade. Il a été opéré. Je pense qu’il est simplement sorti de l'hôpital pour chercher de quoi manger et il a été abattu devant moi."

L’ONU a également dénoncé ces exactions. Les responsables de la mission des Nations unies sur place expliquent qu’ils ont été témoins de massacres le 28 mars dernier, mais affirment qu’ils n’ont pas pu s’interposer.

Les forces de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) restent néanmoins très prudentes sur les différents bilans publiés, à l’instar du Colonel Zeidane, qui a déclaré à FRANCE 24 : "Je ne peux pas me prononcer sur ce chiffre de 800. Il appartient à ceux qui ont avancé ce chiffre de le justifier." Le personnel des Nations unies en Côte d’Ivoire confirme néanmoins avoir procédé à l’inhumation de 198 corps.

Conflit ethnique

Sur place, d’autres témoins racontent que des hommes armés ont procédé à des vérifications d’identité afin de trier la population en fonction de son appartenance ethnique. Gaëtan Mootoo, chercheur pour Amnesty International, raconte : "Aux abords du pont Guémon, nous avons trouvé des cartes d’identité par terre. On se demande d’où viennent ces cartes d’identité et pourquoi des personnes se dirigeant vers un lieu pour se protéger étaient contraintes de montrer leurs cartes."

À Duékoué, le quartier du Carrefour, comme plusieurs autres, a été le théâtre de violents combats. Peuplé majoritairement de guéré, une ethnie chrétienne traditionnellement considérée comme favorable à Laurent Gbagbo, le secteur est aujourd’hui dévasté. La majorité des habitants du quartier s’est réfugiée à la mission catholique de la ville, sous protection d’un bataillon de Casques bleus marocains.

Cette "chasse à l’homme" dont les guéré semblent avoir été victimes dépasse le cadre de l’affrontement politique Gbagbo-Ouattara. Ses causes sont ethniques, religieuses et sociales.

Les guéré, propriétaires terriens, sont accusés d’avoir formé des milices pour terroriser les dioula, une ethnie musulmane voisine qui cultive traditionnellement ces terres pour le compte des guéré. Cette répression a engendré de nombreux conflits entre les deux groupes ces dernières années.

Il est pour le moment impossible de savoir par qui et pour quelles raisons les massacres de Duékoué ont été perpétrés. Plusieurs enquêtes sont en cours, mais à Duékoué, comme dans les villages environnants, des dizaines de personnes manquent toujours à l’appel.