Le Pakistan affirme être à la recherche des ravisseurs d’un officiel américain, enlevé lundi dans la province du Baloutchistan, près de Quetta. Ban Ki-moon, attendu au Pakistan, doit s'exprimer au sujet de cette enquête.
Si, pour sa première visite au Pakistan qui débute mercredi, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon n’avait que l’embarras du choix des sujets à aborder, personne ne s’attendait à ce qu’une région montagneuse du sud-ouest du pays vienne s’immiscer dans son agenda.
Deux jours avant le début de sa visite, l’Américain John Solecki, chef de l'antenne du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) dans la province du Baloutchistan, a été enlevé dans cette région.
Le dernier incident de ce genre ayant ciblé un citoyen américain remonte à 2002, lors de l’enlèvement et l’exécution du journaliste Daniel Pearl.
Bien que la plupart des experts de la région s’attendent à ce que cette affaire prenne une importance croissante au cours de la visite de Ban Ki-moon au Pakistan, le bureau du secrétaire général de l’ONU est resté très évasif : "Il abordera une variété de sujets pendant sa visite, et les évènements récents en feront certainement partie", confie à FRANCE 24 Farhan Haq, porte-parole de l’ONU.
Un véritable vivier de suspects
John Solecki était en route lundi pour Quetta, la capitale du Baloutchistan, quand des hommes armés ont attaqué son véhicule, tuant son chauffeur avant de l’enlever. Il n’a toujours pas été établi si M. Solecki a été blessé dans l’opération.
Si les forces de sécurité pakistanaises ont arrêté plus d’une douzaine de suspects le lendemain de l’attaque, elles ont reconnu, dans différentes interviews, qu’elles n’avaient aucune idée de l’identité des ravisseurs.
Retrouver l'Américain ne sera pas une tâche aisée, comme s’en apercevra Ban Ki-moon au cours de sa visite. Une province éloignée comme le Baloutchistan, possédant des frontières avec l’Iran et l’Afghanistan, est un véritable vivier de suspects, avec ses groupes séparatistes, ses insurgés rebelles, ses gangs criminels et militants islamistes.
Bien que les enlèvements et les attaques soient fréquents dans les régions du nord-ouest du Pakistan et les zones tribales, un kidnapping de cette envergure reste cependant un fait inhabituel.
L’audace avec laquelle a été menée l’opération incite les autorités à privilégier la piste des Taliban, qui sont bien établis dans les zones frontalières avec l’Afghanistan.
Mais contrairement aux zones du Nord-ouest et aux zones tribales, le Baloutchistan n’a jamais été un bastion des Taliban, majoritairement pachtoun.
"Les Kurdes d’Asie centrale"
Avec une superficie à peine inférieure à celle de la Norvège, le Baloutchistan est la plus grande région du Pakistan. Bien que les Pachtouns représentent la majorité des zones frontalières du nord, les tribus Baloutche et Brahoui composent, elles, l’essentiel de la démographie du Baloutchistan.
Éparpillés le long de la bordure avec le Pakistan, l’Afghanistan et l’Iran, les Baloutches sont souvent appelés "les Kurdes d’Asie centrale", et leur histoire est empreinte des violences perpétrées à l’époque de la création du gouvernement fédéral du Pakistan, en 1947.
Avec son sous-sol riche en minéraux et en gaz, le Baloutchistan a été le théâtre de nombreuses frondes contre le gouvernement, menées par divers groupuscules qui accusent le pouvoir central de mal redistribuer les richesses de la province.
Au cours des cinq dernières années, six Chinois travaillant sur la construction d’un port avancé en mer d’Arabie ont été tués par des militants baloutches.
Les activités des forces de sécurité pakistanaises au Baloutchistan, qui doivent en permanence gérer une action de contre-insurrection parallèlement à leurs opérations contre les Taliban et les militants d’Al-Qaïda, ont fait de la province une véritable poudrière.
"Assis sur un tas de dynamite en train de fumer une cigarette"
A l’inverse de la situation dans les zones tribales et du nord-ouest du Pakistan, surveillée de près par la communauté internationale, celle du Baloutchistan a été relativement ignorée.
Un oubli qui, selon Stephen Cohen, membre de la Brookings Institution basée à Washington, est loin d’être intentionnel. "Le Pakistan a tellement de problèmes", rappelle-t-il. Et de poursuivre : "Il y a des problèmes sur la frontière afghane, de la violence dans les villes, une économie désordonnée, le conflit avec l’Inde, un programme nucléaire, des mesures de démocratisation inadéquates. C’est comme si quelqu’un était assis sur un tas de dynamite en train de fumer une cigarette pendant qu’on lui tire dessus. Dans ce cas, auquel de ces problèmes vous attaqueriez-vous en premier ?"
Pour les membres du HCR en charge des quelque 1,8 millions réfugiés afghans au Pakistan, dont 400 000 au Baloutchistan, l’enlèvement de leur collègue est un problème critique.
Dans un communiqué de presse publié lundi, Antonio Guterres, le Haut commissaire aux réfugiés de l’ONU, a exprimé sa "solidarité avec la famille de John", et assuré que l’agence faisait "tout son possible pour obtenir sa libération".
Contacté par FRANCE 24, Ralf Stefan Solecki, le père de John Solecki, n’a pas souhaité communiquer d’informations.