Pour la première fois, la Banque mondiale s’intéresse à l’impact de l’économie numérique sur les pays en voie de développement. Dans un rapport publié jeudi, l'établissement dresse un constat sur les opportunités et les risques du virtuel.
Jouer aux jeux vidéo peut rapporter gros… surtout pour les pays en voie de développement (PVD). Il ne s'agit pas d'un "évangéliste" du secteur qui l’affirme, mais la Banque mondiale. Dans un rapport paru jeudi, l’agence InfoDev, qui en dépend, s’intéresse, pour la première fois, à l’impact de l’économie virtuelle sur les PVD.
Dans cet univers en pleine expansion, les sociétés de services qui gravitent autour des jeux vidéo en ligne captent la plus grosse part du gâteau. D'ailleurs, ces petites entreprises - chinoises et/ou issues d’autres pays asiatiques - ont généré 3 milliards de dollars de revenus en 2009, selon l'étude.
C’est peu et beaucoup à la fois ! En comparaison, souligne le rapport, l’industrie du café, sur laquelle misent beaucoup de PVD, a beau peser 70 milliards de dollars, la part du lion finit sur les comptes des multinationales occidentales. Les entreprises et producteurs locaux n’en retirent que 5,5 milliards (7,7% du total). Bien moins que les services aux joueurs, où les entreprises locales récupèrent 70% des bénéfices. "Ce secteur est plus bénéfique aux PVD" confirme à France 24.com Vili Lehdonvirta, co-auteur du rapport.
Un certain mépris à l'égard des "récolteurs"
Ces sociétés, qui ont retenu l’attention de la Banque mondiale, existent depuis une dizaine d'années. Elles emploient des joueurs qui passent leurs journées à arpenter des mondes virtuels, tels World of Warcraft ou EverQuest, afin d’amasser le plus de gains - virtuels - possible. Ils les revendent ensuite contre des espèces sonnantes et trébuchantes à des joueurs qui n’ont pas la patience (ou le temps) de les obtenir par leurs propres moyens.
Dans le monde des jeux de rôle en ligne multijoueurs (MMORPG), les joueurs des pays dits "developpés" les appellent avec un certain mépris les "gold farmers" ("recolteurs d’or") ou "chinese farmers" ("recolteurs chinois"). Ils souffrent d’une très mauvaise réputation car, selon le rapport, ils "parasitent l’expérience de jeu" avec de constantes sollicitations mercantiles envoyées - du genre "vend 100 PO (pièces d’or) pour 10 dollars". A tel point que les éditeurs - comme Blizzard, qui gère World of Warcraft et ses 12 millions de joueurs - tentent de lutter contre cette pratique. Sans succès pour l’instant...
Reste que le mépris n’empêche pas ces transactions. En effet, "plus d’un joueur sur cinq a déjà payé pour un de ces services", souligne le rapport. Rien qu’en Chine, 100 000 personnes vivraient aujourd’hui de l'activité.
Le business, certes lucratif pour ces sociétés, souffre de conditions de travail souvent déplorables. Les employés passent environ 60 heures par semaines devant un ordinateur pour un salaire compris entre 0,5 et 1,2 dollar de l'heure. Le revenu minimum à l'heure étant de 1,5 dollar à Pékin, selon les auteurs. "C'est loin d'être un rêve, mais vu le niveau d'éducation des salariés, ce travail est considéré comme acceptable et, au moins, il n'est pas dangereux", souligne Vili Lehdonvirta.
Une main d'oeuvre dédiée aux services
"C’est un modèle économique très discutable, dont le seul avantage est de fournir un bagage technologique à ceux qui y travaillent", reconnaît Torbjörn Frediksson, spécialiste de l’économie numérique pour la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (UNCTAD), dans une interview à France 24.com. Les auteurs soulignent d’ailleurs que la plupart des salariés espèrent utiliser leur expérience pour décrocher un poste plus lucratif, voire fonder leur entreprise.
Mais ces services ne constituent pas le seul secteur numérique à offrir des perspectives aux PVD, se réjouit Torbjörn Frediksson. Il y a aussi le "micro-travail", indique le rapport. "Il n'y a pour l'heure que très peu de données sur ce secteur, mais il est en pleine croissance", explique Vili Lehdonvirta.
Typiquement, une grande entreprise issue des nouvelles technologies, comme IBM ou eBay, délègue à une main-d'oeuvre implantée dans un PVD des tâches ne demandant pas une connaissance technologique poussée - le tout à un tarif avantageux. Dans le cas des services, il peut s’agir de comparer un produit à une photo sur un site de commerce en ligne pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une contrefaçon. "N’importe qui, avec une connexion Internet, peut s’occuper d’un tel travail et percevoir un revenu", assure Torbjörn Frediksson.
L'Inde, le Bangladesh et les Philippines figurent parmi les pays où l'activité a rapidement décollé - "essentiellement parce que les donneurs d'ordres cherchent des anglophones", précise Vili Lehdonvirta. Mais le secteur n’en est qu’à ses débuts et présente un fort potentiel de croissance. Son principal avantage ? Pas besoin d'intermédiaire. "Encore faut-il que les PVD, notamment en Afrique, soit informés de l'existence de ces opportunités", conclut Torbjörn Frediksson.