Fukushima, frappée par les accidents nucléaires provoqués par le tsunami, doute de son avenir. Radioactivité oblige, les producteurs de lait ont dû se débarasser de leurs productions. Sans avoir la certitude de pouvoir reprendre un jour.
Au milieu de l’étable, l’une des vaches claque la langue avec la régularité d’un métronome. "Elles sont stressées, explique Kanemasa Sato, un producteur de lait de la préfecture de Fukushima. Elles reçoivent moins à manger et ne sont traites que deux fois par jour au lieu de trois. Ça ne sert plus à rien de toute façon, je suis obligé de jeter tout mon lait."
Dimanche dernier, le gouverneur de Fukushima a interdit la vente de lait en raison des fuites radioactives provenant des centrales nucléaires. Des taux de radioactivité
anormalement élevés ont été relevés dans des échantillons.
"Moi, je continue à boire mon lait parce que je pense qu’il est bon, mais je comprends que personne n’en veuille", poursuit l’agriculteur de 62 ans avec un fatalisme que partagent beaucoup de Japonais.
Chômage technique pour les laiteries
Cela fait quarante ans que Kanemasa élève de belles vaches Holstein — comme 95 % de leurs congénères au Japon — dans le village de Kawamata. Sa femme et son fils travaillent avec lui, ainsi que six employés. Mais ses deux fermes se trouvent à 45 km de la centrale endommagée de Fukushima et elles ont été touchées par des rejets radioactifs.
Depuis le séisme, l’activité tourne au ralenti. "Pendant deux jours, on n’avait plus d’électricité, donc on n’a pas pu traire les vaches, raconte le vieux monsieur aux fines lunettes rondes. On pensait vraiment recommencer comme avant, quand on a rétabli le courant. Mais avec cette histoire de lait contaminé, c’est fini", se résigne-t-il.
Presque toute l’équipe est au chômage technique. Trois employés — dont l’un est venu avec sa femme et son bébé — se sont abrités dans un bâtiment préfabriqué de 12 m2 où
ils tuent le temps. "Il n’y a plus d’essence pour faire les allers-retours entre chez nous et la ferme", indique l’un d’eux. Depuis le séisme, la quasi-totalité des stations-service est à sec.
500 producteurs de lait sur le carreau
Une pluie fine et persistante ne cesse de s’abattre sur la ferme. Deux jeunes fermiers continuent malgré tout à s’activer dans l’exploitation. Protégés par des capuches et des blousons d’une averse potentiellement radioactive, ils font des allées et venues en tracteur et nettoient l’étable à l’aide de pelles. Mais leur énergie semble dérisoire.
"Si la réputation de notre lait souffre trop, nous ne pourrons plus jamais en vendre. Il va
peut-être falloir tuer les vaches", confie Koji, 28 ans, qui craint de se retrouver au chômage. Les 500 producteurs de lait de la préfecture de Fukushima vivent une situation impossible.
Ceux qui habitaient dans un rayon de vingt kilomètres autour de la centrale ont dû abandonner leurs bêtes, avec le plus de nourriture possible. Les autres, comme Kanemasa, continuent de s’en occuper mais sans espoir.
Au syndicat de l’industrie laitière de Fukushima, le président engage les grandes manoeuvres pour la survie de la profession. "Je pars cet après-midi à la préfecture pour trouver une solution, indique Tadanori Tadano, le président et producteur de lait. C’est à la Tepco (la compagnie de production d'électricité qui gère les deux centrales de Fukushima, NDLR) de nous indemniser."
Cet article est également publié sur le site du Parisien.fr.