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"Les régimes choisis par le peuple vont plutôt affaiblir Al-Qaïda"

Depuis des semaines, Mouammar Kadhafi pointe du doigt Al-Qaïda pour expliquer le chaos qui règne dans son pays. Des accusations sans fondement, affirme le spécialiste Pierre Conesa, maître de conférences à Sciences-Po Paris.

"La crise que traverse la Libye est le résultat d'un complot orchestré par le réseau d'Al-Qaïda", a encore répété Mouammar Kadhafi lors d'une interview accordée dimanche à FRANCE 24. Alors que son régime est confronté depuis la mi-février à une insurrection sans précédent, le leader libyen se pose comme le dernier rempart de la lutte contre le terrorisme.

Qu'en est-il réellement de la menace islamiste en Libye ? Pierre Conesa, maître de conférences à l'ENA et Sciences-Po Paris, ancien haut fonctionnaire au ministère français de la Défense et ancien directeur général de la Compagnie européenne d'intelligence stratégique, estime qu'elle est quasiment inexistante.

FRANCE 24 : Les islamistes d'Al-Qaïda peuvent-ils être à l'origine du chaos qui règne en Libye ?

Pierre Conesa : Non, c'est quasiment impossible. Mouammar Kadhafi n'a apporté aucun élément de preuve à ses accusations et il n'existe pas aujourd'hui d'entité Al-Qaïda qui enverrait ses communiqués depuis le nord du Pakistan pour agir en Libye.

Il y a eu, par le passé, un groupe assez proche du Groupe islamique armé algérien (GIA) et d'Al-Qaïda : le Groupe islamique des combattants libyens (GICL). Il a perpétré quelques attentats, puis Mouammar Kadhafi a réduit à peu de chose l'opposition islamiste, en arrêtant très largement tous ceux qui pouvaient en faire partie. En ressortant aujourd'hui cette menace islamiste, Mouammar Kadhafi nous fait simplement un grand numéro de communication. C'est un discours adressé à l'Occident : il nous dit qu'il est le dernier rempart contre la menace qu'il croit être, pour nous, la principale. Mais il est lui-même une menace beaucoup plus importante qu'Al-Qaïda.

FRANCE 24 : De nombreuses armes sont désormais entre les mains des civils libyens. Peuvent-elles ensuite tomber dans celles d'Al-Qaïda ?

Pierre Conesa : Bien sûr. À partir du moment où des armes se répandent parmi la population, on ne peut plus en contrôler la destination. Mais pour l'instant, la véritable difficulté de l'insurrection réside en son absence totale de savoir-faire militaire. Il est possible que des gens qui ont été formés dans le nord du Pakistan ou en Afghanistan viennent en appui à l'insurrection libyenne, mais cela ne donne pas pour autant une unité à une action diligentée par Al-Qaïda pour renverser Mouammar Kadhafi.

FRANCE 24 : L'instabilité de la région peut-elle tout de même faire l'affaire d'Al-Qaïda ?

Pierre Conesa : Si on prend par exemple la situation dans la région du sud de la Tunisie, je ne crois pas que tous les immigrés qui fuient les combats dans des conditions dramatiques aient en tête de s'organiser pour rejoindre Al-Qaïda. Leur véritable problème est de survivre. Au contraire, l'instauration de régimes choisis par le peuple va plutôt affaiblir Al-Qaïda. Les islamistes deviendront une force politique appelée à se prononcer non pas contre un dictateur - tels Mouammar Kadhafi, Zine el-Abidine Ben Ali ou Hosni Moubarak -, mais sur de vraies questions de gouvernance. Ils ne pourront plus se cantonner au rôle de l'opposition promettant le retour immédiat du paradis sur terre.