, envoyé spécial à Lampedusa, Italie – Alors que les révoltes secouent le monde arabe, des civils continuent de fuir leur pays. Des milliers d’entre eux se retrouvent bloqués sur l’île italienne de Lampedusa, au milieu de la Méditerranée, d'où ils espèrent rejoindre l’Europe.
Reportage réalisé en avril 2011 au lendemain de la chute de Ben Ali en Tunisie.
Ils débarquent de bateaux rafistolés, trempés jusqu’aux os. Tremblants, exténués par de longues et éprouvantes heures de voyage, mais le sourire jusqu’aux oreilles. À Lampedusa, petit bout de terre italienne perdu au milieu de la Méditerranée, les immigrants tunisiens s’amassent, obligeant les Européens à porter un regard différent, sûrement un peu moins exalté, sur les révoltes qui font trembler tous les régimes en place de l’autre côté de la Méditerranée.
Ces dernières semaines, plus de 7 000 migrants clandestins tunisiens – des hommes entre 20 et 30 ans, pour la plupart – ont franchi la petite bande de mer qui sépare leur pays de Lampedusa, cette parcelle d’Europe située à 400 km au sud de la Sicile et à 200 km du Maghreb.
Le maire de Lampedusa a ordonné leur placement en centre de rétention. La plupart d’entre eux ne passent cependant pas leurs journées enfermés. Quotidiennement, ils enjambent les barrières entourant le centre pour aller s’asseoir dans l’un des cafés de la via Roma, rue principale de Lampedusa.
Pas de travail, pas d'espoir
Walid, un jeune Tunisien de 22 ans originaire de Tatouine, à quelques kilomètres de Djerba, a débarqué il y a trois jours après un périple de vingt heures dans les eaux agitées de la Méditerranée. Son voyage a été plutôt court : les embarcations mettent parfois trois jours pour rejoindre les côtes de l’île.
Tout au long du voyage, le bateau a été malmené, balloté par les rafales de vent. La semaine dernière, cette même houle avait empêché les traversées. "L’eau n’arrêtait pas de jaillir dans la coque et nous avons dû utiliser nos chemises pour boucher les trous du bateau", raconte Walid.
Comme la plupart des Tunisiens de Lampedusa, le jeune homme n’envisage pas de rester très longtemps dans les parages. Son objectif : Pantin, en banlieue parisienne. Là-bas, des parents l’attendent.
Quand on lui demande si le départ de Ben Ali lui a donné de l’espoir, Walid hausse les épaules et répond : "Pas pour moi." La réponse est la même pour la douzaine de migrants sirotant un café à l’extérieur du bar Roma. Tous parlent un français courant et quelques mots d’italien. "Ce sont tous les mêmes", affirme pour sa part Scandar, en référence aux nouvelles autorités tunisiennes. "Ils se sont débarrassés du patron, mais pas des sbires."
Comme Scandar, Salim vient de la ville côtière de Zarzis, dans l’Est tunisien. L’un de ses voisins a été tué lors des récentes révoltes qui ont secoué le pays. "On se sent de moins en moins en sécurité là-bas. Et il n’y a pas de travail pour les gens comme nous", assure-t-il. Le chômage et la précarité qu’il risque de rencontrer en Europe ne lui font pas peur. Car cela "ne peut pas être pire qu’en Tunisie", jure-t-il.
Salim et ses compagnons de voyage cherchent à savoir comment atteindre la France et ce que le voyage peut leur coûter. Ils sont confiants. Selon eux, les autorités italiennes vont les faire venir sur le continent, puis les laisser partir.
Objectif : rejoindre le continent
En effet, les vols vers le Nord ont repris. Car, une fois de plus, le centre de rétention de Lampedusa est saturé. Son directeur, Cono Callipo, affirme que 250 migrants sont actuellement en route pour le continent, où les autorités italiennes détermineront s’ils sont candidats à l’asile politique ou pas. "S’ils sont simplement à la recherche de travail, ils finiront par être renvoyés dans leur pays", affirme-t-il.
Les autorités italiennes sont assistées d’une kyrielle de travailleurs humanitaires, omniprésents à Lampedusa. Emiliano Cadeddù est l’un d’eux. Originaire de Sardaigne, il s’attache à fournir une première aide aux migrants, à bord des bateaux des garde-côtes. Lui ne nourrit pas beaucoup d’espoir quand aux ambitions des jeunes hommes qu’il voit défiler. "Je les lave, je les nourris, je m’occupe d’eux, mais à la fin je dois les renvoyer", lâche-t-il.
À Lampedusa, tous les Tunisiens ne rentrent pas au pays contre leur gré. Une petite embarcation flanquée du drapeau tunisien est partie du port ce matin. À son bord, six pêcheurs qui avaient trouvé refuge sur les côtes de l’île italienne après avoir essuyé une tempête trois jours auparavant. "On rentre à la maison maintenant", déclare Mohamed, le capitaine, en avalant une part de Panettone. "Il y a plein d’espoir maintenant que Ben Ali est parti. Plus personne n’a peur de parler."
Mohamed et ses hommes ne comprennent pas pourquoi tant de leurs compatriotes fuient la Tunisie. Au moment où il prononce ces quelques mots, un nouveau bateau se profile à l’horizon avec, à son bord, des dizaines d’immigrants déterminés à rester à tout prix de ce côté-ci de la Méditerranée.