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"L'inertie judiciaire risque de retarder le gel des avoirs de Ben Ali, Moubarak et Kadhafi"

Après les belles annonces sur le gel des avoirs des dictateurs arabes déchus ou menacés vient le temps des procédures. L'avocat Fabrice Marchisio, spécialiste de ces questions, explique que la bataille est loin d'être gagnée...

Fabrice Marchisio, avocat français au cabinet Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral, spécialiste du recouvrement d'actifs frauduleusement acquis, craint que les procédures censées aboutir au gel des avoirs des anciens dictateurs tunisien Zine el-Abidine Ben Ali et égyptien Hosni Moubarak, ainsi que du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, s'enlisent. Il explique pourquoi ces affaires sont parmi les plus difficiles à mener à bien.

France24.com - L’Union européenne a décidé d'un gel des avoirs de l’ex-président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali, de l'Égyptien Hosni Moubarak et, maintenant, du leader libyen Mouammar Kadhafi. Sur le terrain, qu’en est-il de ces procédures ?

Fabrice Marchisio - Le Conseil de l’Union européenne (UE) a identifié 48 personnes du clan Ben Ali-Trabelsi dont les avoirs en Europe doivent être gelés. Le 4 février, un règlement en ce sens a été adopté, qui permettrait d'engager des poursuites judiciaires contre quiconque, en Union européenne, continuerait de manipuler des fonds pour le compte d'une des personnes visées. Des règlements similaires pour la famille Moubarak et Kadhafi devraient être bientôt adoptées, d’après le Conseil de l’UE.

Compte tenu des milliards d’euros en jeu et de la probabilité que des transactions aient encore lieu à ce jour, la bataille judiciaire risque d'être longue. Identifier tous les actifs et les intermédiaires comme les banques ou les notaires demande beaucoup de temps.

F24 - Quel est le principal obstacle sur le chemin de la justice ?

F. M. - L’inertie judiciaire qu’on rencontre généralement dans ce genre de dossiers. Dans le cas de Jean-Claude Duvalier [dictateur haïtien de 1971 à 1985, ndlr], les procédures judiciaires liées au gel de ses avoirs sont encore en cours, plus de 24 ans après la demande d’entraide judiciaire qu'Haïti a sollicitée auprès de la Suisse ! Il faut en permanence se battre contre la non-coopération de certains acteurs. D'autant que la moindre dimension transnationale accroît les problèmes.

Chaque jour perdu peut permettre aux personnes visées de transférer leurs avoirs dans des "paradis fiscaux", ce qui risque d’allonger la procédure de plusieurs mois ou même de plusieurs années. Organiser le gel des avoirs de toutes ses personnes va coûter des millions d’euros.

F24 - Quelle devrait être, selon vous, la priorité de ces dossiers ?

F. M. - La priorité est de parvenir à dresser l’inventaire de tous les biens à geler et d’identifier tous les intermédiaires afin de pouvoir mettre en cause leur responsabilité délictuelle. À l’heure actuelle, seule une partie infinitésimale des biens a effectivement été gelée.

F24 - Êtes-vous optimiste quant aux chances de recouvrir tous les biens des personnes mises en cause ?

F.M. - Il n’y a jusqu’à présent jamais eu de 'success story' dans ce genre d’affaires. Les dirigeants déchus ont eu plusieurs dizaines d’années pour réfléchir sur la manière dont gérer leur richesse. Mais j’espère que, cette fois-ci, nous pourrons arriver à nos fins. Les autorités internationales ont en effet fait preuve de célérité sur ces dossiers et il y a une très grande communication mondiale.

F24 - Est-ce que vous pensez que les clans Ben Ali et Moubarak jouissent toujours de ces biens ?

F. M. - Probablement pas de façon directe, mais il y a de fortes chances pour que des prête-noms s’en occupent actuellement pour eux.