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Obama face à l'équation égyptienne

Une semaine après le mouvement de contestation qui agite l'Égypte, le président américain, Barack Obama, se retrouve confronté à l'Histoire. Avec, en toile de fond, le spectre de la révolution iranienne.

Téhéran, 1979. Jimmy Carter lâche le shah... et reste dans l’Histoire comme le président américain qui a perdu l’Iran. Deux années plus tard, il cède la Maison Blanche à Ronald Reagan.

Barak Obama est face au même risque : rester dans l’Histoire comme le président qui aura perdu l’Égypte, pierre angulaire de l’influence américaine au Proche-Orient et emblème du monde arabe modéré, c’est-à-dire libéral et favorable à la paix avec Israël, contre vents et marées. Avec, peut-être, le même type de conséquences.

L'équation égyptienne

Or, l’équation américaine est simple à exprimer, bien que beaucoup plus difficile à résoudre : peut-on garder l’Égypte en lâchant Moubarak ? Ou encore : peut-on avoir en Égypte la démocratie et la stabilité ?

On serait tenter de répondre que le président américain n'a d’autres choix que de lâcher le régime égyptien, tant il est clair que les manifestants, qui espèrent être un million demain sur la place Tahrir ("libération", en arabe), au Caire, ne lèveront pas le pied tant que le "raïs" ne quittera pas le pouvoir. C’est la revendication presque unique du mouvement...

Lâcher Moubarak, donc. Mais cela ne saurait être que la première étape, le pré-requis.
En cas de démission de Moubarak, le vice-président, Omar Souleiman, prendrait alors logiquement la relève avec le soutien de l’armée, des milieux d’affaires, des Américains, des Israéliens... et aussi de tous les autres régimes arabes qui craignent une contagion des mouvements de protestation.

Cela durera peut-être un temps, mais la tenue d'élections libres deviendra inévitable. Et Dieu sait ce qui peut en sortir : Mohamed El-Baradei ou bien un leader des Frères musulmans ? Là, c’est le souvenir du Front islamique du salut (FIS) en Algérie qui obsède. N’oublions pas que l’Égypte est un pays de 80 millions d’habitants qui, tous, ne partagent pas forcément les aspirations modernistes des Cairotes, ou même des Alexandrins, davantage influencés par l'islamisme.

Dans les révolutions qui tournent mal, il y a toujours une première étape, celle durant laquelle les forces modérées jouent le premier rôle. Elles sont souvent balayées plus ou moins vite par des radicaux. C’est ce qui s’est passé avec la Révolution française et aussi en Iran en 1979.

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Obama face à l'équation égyptienne

Ménager la rue égyptienne

La marge de manœuvre américaine est ténue : éviter les erreurs commises avec l’Iran en se mettant le peuple à dos, ce qui a conforté la rue dans un sentiment d'anti-américanisme extrême encouragé par les meneurs islamistes.

Ici, on voit bien que l’administration Obama tente de tirer les leçons de cette pénible expérience, et veille à ne pas nourrir l’antagonisme avec la rue égyptienne. D’où les appels au respect de la liberté d’expression et les déclarations favorables à la démocratisation entendus ces dernières 24 heures.

Problème : les récentes études d’opinion montrent que les Égyptiens ne croient pas à ces beaux discours. Mais, dans un même temps, l’Amérique et Obama en particulier fascinent toujours dans le monde arabe. Rien n’est encore joué, d'où cet appel à la "transition ordonnée" de la secrétaire d'État, Hillary Clinton.

Les atouts du président Obama

Il est temps de faire la liste des atouts de l’Amérique dans cette situation où son autorité et son prestige sont en jeu :

-Premier atout, on vient de le voir, le crédit de l'actuel locataire de la Maison Blanche : "Obama is still magic! " ("Obama est toujours aussi magique !"). Quand il parle de démocratie, on le croit davantage que lorsque c’était George W. Bush. C’est comme ça.

-Deuxième atout : pour l’instant, la revendication n’est pas religieuse mais politique et civile... Il n’y a pas d’équivalent de l’ayatollah Khomeini dans cette histoire. De même que, du Caire à Suez, aucun slogan anti-occidental ou anti-israélien n'a été scandé dans la foule. Fournir une solution laïque et libérale au mouvement peut encore éviter qu’il ne bascule.

-Troisième atout, l’argent. Quelque soit le maître du Caire, il ne peut rien sans l’aide financière américaine... qui bénéficie essentiellement à l’armée.

La "grande muette", la grande inconnue

Une armée égyptienne qui demeure la grande inconnue. Gage de stabilité jouissant d’un très grand prestige parmi le peuple, elle devrait jouer un rôle décisif dans la crise actuelle. Mais la "grande muette" a été, dans le passé, secouée en son sein par des mouvements de contestation en particulier islamistes, d’ailleurs sévèrement réprimés. Bref, elle doit être “tenue” par des hommes de la trempe d'Omar Souleiman, qui en connaît la moindre arcane.

Tout cela fait que Washington semble bien décidé à contraindre Moubarak à faire preuve d'un maximum d’ouverture... en essayant de le pousser gentiment vers la sortie, y compris en menaçant de lui couper les vivres. L'âge de Moubarak, 82 ans, est un autre atout dès lors qu'il a dû renoncer à l'espoir d'une succession dynastique.

Bref, les Américains font leur cette fameuse maxime du prince de Lampedusa, auteur du "Guépard" : “Il faut que tout change...pour que rien ne change”