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Le pays peine à s'affranchir de l'appareil policier

Si Ben Ali est tombé, son système policier semble perdurer. Certains opposants restent surveillés, d'autres sont passés à tabac. Forte d’au moins 120 000 agents, la police mise en place sous l'ancien régime en était l'un des piliers.

"J’ai huit points de suture sur le crâne et quatre sur le front. Les policiers m’ont arrêté dans la rue. Ils m’ont plaqué au sol, puis ils m’ont tiré une balle en caoutchouc dans le dos et m’ont frappé à la tête." Ce témoignage est celui d’un jeune chômeur rencontré par les journalistes de FRANCE 24 à Avicenne, un quartier populaire de Tunis. Pourtant, au moment des faits, Zine El-Abidine Ben Ali avait déjà quitté le pays...

Un autre jeune manifestant rencontré par des chercheurs d’Amnesty International raconte à peu près la même histoire. Après avoir été arrêté dans la capitale tunisienne le 14 janvier, il a été conduit au ministère de l’Intérieur aux côtés de 30 autres personnes où il a été roué de coups, avant d'être relâché sans autre forme de procès...

Les témoignages accablant les policiers sont actuellement légion en Tunisie, preuve que la chute du régime Ben Ali n’a pas entraîné avec lui le système répressif mis en place pendant ses 23 années au pouvoir. "La criminalisation de la police est un énorme problème, explique ainsi Samy Ghorbal, journaliste franco-tunisien indépendant. Réinculquer des valeurs républicaines aux policiers est l’autre grand défi qui attend les nouvelles autorités tunisiennes."

Le constat n’étonne pas outre mesure les figures de l’opposition, de retour d’exil. "On continue à se demander ce que sont devenus certains jeunes arrêtés pendant les manifestations", s’inquiète notamment Radhia Nasraoui, avocate et fervente défenseur des droits de l’Homme. Sihem Bensedrine, journaliste et figure de l’opposition, est encore suivie par des membres de la police politique depuis son retour au pays le 14 janvier. "La tête est tombée mais le corps est toujours là", résume-t-elle. "Le plus urgent, c’est de neutraliser les forces de nuisance, c'est-à-dire faire un travail d’épuration au sein de l'appareil sécuritaire", poursuit-elle.

Le défi : identifier les responsables

La tâche s’annonce ardue. Zine El-Abidine Ben Ali a mis en place une machine répressive hors norme. "En quelques années, il a multiplié par quatre le nombre de policiers. On ne sait pas exactement combien ils sont : selon les sources, les chiffres varient entre 120 000 et 160 000 hommes pour une population de 10,5 millions d’habitants", reprend Samy Ghorbal.

La chasse aux sorcières a cependant commencé. Abdallah Kallel, président de la chambre des conseillers et responsable du contrôle des médias, a été assigné à résidence. Une plainte pour torture vient d’être déposée contre lui. Ali Seriati, le chef de la sécurité présidentielle - l’une des têtes pensantes de l’organisation sécuritaire tunisienne - a également été arrêté. Tout comme Rafik Belhaj Kacem, le ministre de l’Intérieur limogé le 12 janvier. "Les figures symboliques de l’appareil sécuritaire de Ben Ali sont tombées", estime le journaliste.

Pourtant, les défenseurs des droits de l’Homme restent inquiets. Les caciques de l’ultra-puissant appareil sécuritaire de Ben Ali n’ont aucun intérêt à tourner la page : ils risquent de devoir répondre de leurs crimes devant la justice. Pour Sihem Bensedrine, remanier d’urgence et en profondeur les forces de sécurité est désormais une question essentielle pour la survie de la révolution. "La difficulté est maintenant de réussir à identifier les véritables responsables de cette organisation extrêmement secrète", ajoute Samy Ghorbal.

Dans cette perspective, une commission indépendante présidée par Taoufik Bouderbala a été nommée par le gouvernement de transition. Elle devra enquêter sur le rôle des forces de sécurité dans les violences qui ont émaillé la révolution tunisienne. Selon l’ONU, 117 personnes y ont péri, dont 70 par balles. "Nous demanderons qui a donné la permission d'ouvrir le feu, explique Taoufik Bouderbala. Nous avons constaté que, dans certains cas, des tirs étaient dirigés vers la tête ou la poitrine [...]. Et nous chercherons pour quelle raison ceux qui tenaient des fusils ou des couteaux ont frappé ceux qui réclamaient à mains nues du pain et la liberté", conclut-il.