
En quittant le Parti travailliste pour fonder sa propre formation, le ministre israélien de la Défense Ehoud Barak a infligé un coup sévère à la gauche israélienne. Début de la fin pour un parti politique historique ? Entretien.
Le ministre israélien de la Défense Ehoud Barak a claqué la porte du Parti travailliste, ce lundi, en compagnie de quatre députés de la formation de gauche afin de pouvoir conserver son maroquin dans le gouvernement de coalition très marquée à droite de Benjamin Netanyahou. La manœuvre semble destinée à devancer les instances dirigeantes du parti qui menacent de quitter le gouvernement faute de progrès dans les négociations de paix avec les Palestiniens.
L’ancien Premier ministre a annoncé la création d'un nouveau parti "centriste, sioniste et démocratique", le parti de l'Indépendance. Déjà en grande difficultés (avec 13 sièges de députés obtenus au dernier scrutin en 2009, il s'agit du plus mauvais score de l'histoire des travaillistes), la défection d’Ehoud Barak affaiblit un peu plus encore les travaillistes. Comment ce parti, intimement lié à l’histoire d’Israël, en est arrivé là ? et pourra-t-il se relever ?
Jacques Huntziger, ancien ambassadeur de France en Israël de 2000 à 2004, et auteur de l’essai "Il était une fois la Méditerranée", publié chez CNRS Editions, répond aux questions de France24.com.
France 24 : Le départ fracassant du ministre de la Défense Ehoud Barak a fragilisé un peu plus un Parti travailliste qui était depuis les dernières élections en perte de vitesse. Comment expliquez-vous la mauvaise passe que traversent les travaillistes, si influents par le passé ?
Jacques Huntziger : Ehoud Barak a abandonné un Parti travailliste qui a trop vécu sur son passé. Le parti est en grande difficulté depuis la deuxième Intifada de l’an 2000. Plusieurs facteurs expliquent ce déclin structurel et non pas conjoncturel. D’une part, les travaillistes n’ont pas tenu compte de l’évolution de la société israélienne depuis les années 1970. En affichant une posture très bourgeoise voire méprisante à l’égard des juifs séfarades et de la communauté russophone, il s’est coupé d’une partie de la société et par conséquent de la réalité de l’État hébreu.
D’autre part, le parti souffre d’un manque de stratégie politique et de l’absence d’un nouveau leader charismatique. Les jeunes cadres travaillistes tardent à éclore. Et pour cause, les dirigeants qui se sont succédés à la tête du parti ne se sont pas occupés de son avenir. Enfin, il n’a pas su concilier la prise en compte du besoin de sécurité des Israéliens avec la nécessité de poursuivre le processus de paix avec les Palestiniens.
France 24 : Pas de leader, pas beaucoup d’élus, et des sondages défavorables. La gauche israélienne peut-elle rebondir ?
J.H. : Cela va être difficile car il va falloir du temps pour que la gauche israélienne se réaffirme. L’opinion publique ne fait plus confiance aux travaillistes pour diriger le pays, comme le prouvent leurs échecs électoraux successifs. Ce alors qu’il existe depuis toujours une opinion publique de gauche qui soutient le processus de paix. Le départ d’Ehoud Barak illustre ce déclin, puisque l’ancien Premier ministre est parti dans le but de conserver son poste et continuer à peser sur les décisions du gouvernement en place.
France 24 : L’affaiblissement de la gauche israélienne enterre-t-il un peu plus le processus de paix et ceux qui le soutiennent ?
J.H. : Le processus de paix était déjà bloqué bien avant le départ de Barak. De plus, ce dernier a démontré qu’il pouvait lui aussi être dans le camp des faucons lors de l’offensive contre Gaza en 2008, qu’il a appuyée ardemment. Aujourd’hui, le camp de la paix n’est plus seulement à gauche, mais au centre. Kadima, le parti lancé par Ariel Sharon et désormais dirigé par Tzipi Livni, est le chef de file d’une alternative politique. D’ailleurs, cette dernière avait remporté la majorité des voix lors des dernières législatives. C’est ce parti qui, allié avec les travaillistes, peut proposer une voie nouvelle capable de convaincre les électeurs de gauche et reconquérir le pouvoir.