Après 25 ans d’exil en France, Jean-Claude Duvalier, alias "Bébé Doc", l’ex-"président à vie" d’Haïti, est revenu sur sa terre natale, dimanche. Portrait d’un dictateur qui, dans la continuité de son père, a mis son pays à genoux.
C’est un retour bien mystérieux qu'a effectué l’ex-dictateur Jean-Claude Duvalier, alias "Bébé Doc", en Haïti, dimanche, après 25 ans d'exil en France. L’accueil qui lui a été réservé par quelques centaines de partisans massés devant l'aéroport de Port-au-Prince a été étonnamment chaleureux pour un homme dont le passage à la tête du pays a été marqué par de nombreuses exactions.
"Bébé Doc" ou le régime de la terreur
C’est à 19 ans, en 1971, que Jean-Claude Duvalier prend les rênes du pouvoir en Haïti, à la suite de la mort de son père François, alias "Papa Doc", qui était à la tête du pays depuis 1957. "C’est alors un garçon très jeune, manipulable et manipulé, qui arrive au pouvoir", confie Christian Girault, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la région Caraïbe.
"Timide, sans grande capacité intellectuelle voire un peu sous doué", le fils tombe sous la coupe des membres de son gouvernement fidèles à son père. Au début de sa présidence, de 1973 à 1975, Jean-Claude Duvalier prône l’apaisement : ce sont les courtes années "d’une parenthèse dorée où l’économie redémarre grâce au tourisme et où les relations avec l'étranger reprennent", analyse Christian Girault. Mais très rapidement, le régime change de ton. Dès les années 1980, "Bébé Doc" annihile toute forme de contestation.
La presse est censurée et les exactions des Tontons Macoutes - une milice qui faisait déjà régner la terreur en Haïti sous la présidence de son père - se perpétuent. Des milliers d’opposants sont torturés et massacrés. Dominant un peuple totalement muselé, le plus jeune chef d’État au monde se livre alors en toute impunité au pillage des ressources de son pays. "Environ 80 % de l’aide versée à Haïti a été détournée par la famille Duvalier sous le couvert d’œuvres sociales jusqu'au départ de 'Bébé Doc', en 1986", précise Christian Girault.
Exilé en France
Des détournements qui ont laissé le pays exsangue et provoqué, dès 1984, les premières émeutes de la faim. Au mois de mai de cette année-là, des journalistes d'Antenne 2 filment les manifestations de la population en colère. Leurs images, sidérantes, montrent le dictateur jetant des billets de banque à la foule depuis les fenêtres de sa limousine. Elles marqueront à jamais les esprits.
En 1986, face à la détérioration de la situation, les États-Unis et la France pressent Jean-Claude Duvalier de quitter le pays, ce qu'il fait le 7 février. "Bébé Doc" et ses sbires prennent la fuite à bord d’un avion de l’US Air Force... mais les États-Unis lui refusent l’asile politique. C’est finalement en France qu'il trouve une nouvelle terre d'accueil. Devant l’indignation générale, le gouvernement de Laurent Fabius (sous la présidence de François Mitterrand) promet qu’il n'y restera que 8 jours. Vingt-cinq ans plus tard toutefois, celui-ci y résidait toujours... sans avoir jamais obtenu officiellement l’asile politique.
À son arrivée dans l'Hexagone, "Bébé Doc" mène un train de vie luxueux qui ne cessera de se détériorer. Selon le quotidien "Libération", il vit d'abord "planqué" à Chambéry, dans les Alpes, jusqu’en 1989, date à laquelle son épouse, Michèle Bennett, demande le divorce après avoir pris soin de vider une grande partie des comptes que le couple possède aux États-Unis et en Suisse. Si l'argent commence à se faire rare, il n'empêche cependant pas l'ex-dictateur d'emménager dans une luxueuse villa située sur les hauteurs de Cannes, en 1990. Il y restera trois ans, jusqu'à son expulsion de la demeure en 1993, faute de pouvoir régler ses factures et son loyer. Criblé de dettes, Jean-Claude Duvalier erre alors d’hôtels en hôtels sur la Côte d’Azur en compagnie de sa mère avant de trouver, finalement, un trois pièces dans le 20e arrondissement de Paris, dans les années 2000.
Pendant tout ce temps, "Bébé Doc" ne sera jamais inquiété par la justice pour les exactions commises par son régime.
Jean-Claude Duvalier et son ex-compagne Michèle Bennett sont notamment accusés d'avoir détourné plus de 100 millions de dollars de fonds publics lorsqu'ils étaient au pouvoir. Le reliquat - 7 millions de dollars placés dans des banques suisses - a été gelé par un tribunal de Genève en 2002. En février dernier, la justice suisse est revenue sur sa décision, autorisant la famille Duvalier à disposer de 5 millions de dollars.
"Généreux" Bébé Doc
Au cours de son exil, "Bébé Doc" a souvent exprimé le désir de retourner dans son pays. C’est désormais chose faite. Le 16 janvier, accompagné par sa nouvelle compagne française, Véronique Roy, il a refait surface sur sa terre natale pour exprimer sa "solidarité avec le peuple haïtien", le jour même où aurait dû se tenir le second tour de l’élection présidentielle.
Et c’est avec un don de 8 millions de dollars qu’il souhaite verser à la Croix-Rouge américaine que Jean-Claude Duvalier s'est à nouveau présenté devant son peuple. Un chèque "pour fournir une aide d’urgence aux Haïtiens", écrit-il dans un communiqué adressé au journal américain "The Daily Beast", mais qui soulève bien des questions quant aux intentions de l’ancien exilé...
"Il ne fait quasiment aucun doute qu’il soit revenu avec des ambitions politiques", conclut Christian Girault. "Il profite du vide politique du moment pour revenir sur le devant de la scène et se refaire une popularité".