Ben Ali a quitté la Tunisie pour trouver refuge en Arabie saoudite. La situation progresse rapidement à Tunis : le président du Parlement Fouad Mebazaa (photo) assure l’intérim, le Premier ministre doit former un gouvernement d’union nationale.
C’est finalement le président du Parlement tunisien Fouad Mebazaa qui assure la direction du pays depuis samedi 15 janvier, après que le Conseil constitutionnel l’a proclamé président par intérim. Fouad Mebazaa a d’ailleurs prêté serment ce samedi dans son bureau à l'Assemblée, selon l’Agence France Presse (AFP). L’article 57 de la Constitution tunisienne a donc eu raison du Premier ministre de Ben Ali, Mohamed Ghannouchi, qui avait revendiqué vendredi la présidence par intérim.
Fouad Mebazaa a maintenant 60 jours au maximum pour organiser un scrutin présidentiel - un délai extrêment serré dans un pays qui n’a jamais connu d’élections libres de son histoire. "Tous les Tunisiens sans exception et sans exclusive" seront associés au processus politique, a indiqué samedi midi Fouad Mebazaa dans une brève allocution après sa prestation de serment, signifiant que l’opposition serait invitée à prendre part au scrutin.
Un nouveau gouvernement devrait être formé par le Premier ministre dans les jours qui viennent avec, peut-être, la participation de l’opposition à en croire les propos tenus par Foued Mebazaa : "l'intérêt supérieur du pays nécessite un gouvernement d'union nationale".
itLe Premier ministre a également annoncé que les opposants et exilés tunisiens étaient libres de rentrer au pays. Le chef du parti islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi, a répondu via l'AFP en annonçant ce samedi son retour en Tunisie.
Une journée scandée par des manifestations à Tunis
Samedi matin, des manifestations ont débuté dans des villes de province pour réclamer le départ de M. Ghannouchi, avant que le Conseil constitutionnel ne donne son blanc-seing à Fouad Mebazaa. Des milliers de personnes, sorties dans les rues, se sont ensuite dispersées à la demande l'armée sans incident grave, en apprenant la nouvelle de son remplacement par le président du Parlement.
Depuis vendredi, de nombreux habitants à Tunis et en province sont victimes des bandes de pilleurs qui mettent à sac des commerces et des habitations, en dépit du couvre-feu. Des témoins imputent l'essentiel de ces violences à des miliciens de l’ancien président en fuite Zine El-Abidine Ben Ali. Le principal syndicat du pays, l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) a appelé samedi soir à la formation de comités de vigiles « pour que les gens puissent se défendre eux-mêmes ». De son côté, l'armée a mis à la disposition des citoyens un numéro d'appel pour lui signaler ces attaques. Depuis vendredi, soldats, chars et hélicoptères quadrillent le centre de Tunis pour tenter de reprendre le contrôle de la situation.
Ces rassemblements ont eu lieu malgré l’état d’urgence décrété vendredi, et alors que la situation sécuritaire reste électrique dans le pays : plusieurs quartiers de la banlieue de Tunis ont vécu une nuit au rythme des pillages et des agressions, et l’armée a fait survoler la ville par des hélicoptères. Le centre de la capitale a progressivement été bouclé.
Au sud, une tentative d'évasion de la prison de Monastir a tourné au drame et un incendie a coûté la vie à 42 personnes.
Le clan Ben Ali entre Paris et Djeddah
Le clan Ben Ali, lui, a fui la Tunisie vendredi pour se disperser dans différents pays. L'ancien président et sa famille sont arrivés dans la nuit de vendredi en Arabie saoudite, à Djeddah. La France prétend avoir refusé d’accueillir l’ancien dictateur tunisien. Selon des informations du site Internet lemonde.fr, un avion en provenance de Tunisie s'est posé à Paris vendredi soir, transportant une fille et une petite-fille de M. Ben Ali accompagnées d'une gouvernante.
Plusieurs membres de l'entourage de l'ancien dictateur auraient été arrêtés en Tunisie. C'est le cas du chef de la sécurité présidentielle tunisienne, Ali Seriati, selon la chaîne d'informations en continu Al Jazeera. Le sort de Slim Chiboub, époux de l'une des filles de Ben Ali n'est pas clair, il aurait selon certaines sources été arrêté à la frontière libyenne, mais la chaîne tunisienne Nessma affirme qu'il a réussi à s'y réfugier.
Le doute demeure également quant au destin d'un autre gendre de Ben Ali, l’homme d’affaires Mohamed Sakher El Materi, arrêté à Tunis toujours selon Nessma, en fuite à Dubaï d’après un collaborateur de M. Materi contacté par Reuters.
Le rétropédalage de la France
La position française est des plus délicates, après le silence embarrassé qui a prévalu durant cette semaine de soulèvements, et surtout après le soutien sans faille de la diplomatie française à la dictature tunisienne. Samedi soir, la page du site Internet du ministère français des Affaires étrangères se bornait à préciser que "la France [n’avait] reçu aucune demande d’accueil de M. Ben Ali."
Après le couac provoqué par la ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie qui avait proposé, ce mardi devant l'Assemblée nationale, une assistance française aux forces de sécurité tunisiennes, Paris a donné le change samedi dans un communiqué appelant à "l'apaisement et la fin des violences en Tunisie" et à "des élections libres dans les meilleurs délais".
"La situation s'est tendue samedi en milieu de journée, quand les militaires ont commencé à fouiller les voitures, en particulier celles de location. Sur des emplacements stratégiques - l'avenue Bourguiba, la place de la République - la fouille est systématique et certaines personnes ont été arrêtées. Alors que le couvre-feu s'étale de 17h à 7h du matin, nous avons entendu des tirs de sommation dès 17h10 à Tunis. L'application des consignes sécuritaires est donc très stricte, les soldats nerveux. Il est impossible de mettre le nez dehors, et un char d'assaut "veille" sur la rue de notre hôtel."
Cyril Vanier, envoyé spécial de France24 à Tunis.
"La France est prête à répondre à toute demande de concours afin que le processus démocratique se déroule de la façon la plus incontestable", a ajouté le président Nicolas Sarkozy dans un communiqué.
Nicolas Sarkozy a également annoncé ce samedi une surveillance sur les avoirs dont disposerait l’ancien président tunisien dans des banques françaises. La France a pris "les dispositions nécessaires pour que les mouvements financiers suspects concernant des avoirs tunisiens en France soient bloqués administrativement", sans faire explicitement référence à Ben Ali ni à la famille de son épouse, Leïla Trabelsi.
Le monde arabe observe la situation de près
De nombreux pays ont salué ce que certains nomment déjà "la révolution de jasmin". L'Egypte a affirmé samedi respecter "les choix" du peuple tunisien, alors que l'homme fort du Caire, le président Hosni Moubarak, suit avec intérêt une situation qui pourrait faire tache d'huile dans son pays.
La Ligue arabe, elle, a appelé samedi toutes les forces politiques tunisiennes à être "unies", évoquant la "phase historique dont le peuple tunisien est témoin" et demandé "à toutes les forces politiques, ainsi qu'aux représentants de la société tunisienne et aux officiels, d'être unis pour le bien du peuple et pour réaliser la paix civile".