
Le constructeur a porté plainte contre X pour espionnage industriel organisé, corruption, vol, recel et abus de confiance. Il soupçonne trois de ses cadres d'avoir laissé filtrer des informations sur son programme de véhicules électriques.
AFP - Le constructeur automobile français Renault a déposé plainte jeudi à Paris pour espionnage industriel, ouvrant la page judiciaire d'une affaire qui porterait sur une fuite de secrets au bénéfice d'une "puissance étrangère".
"Conformément à ce qui avait été annoncé par Renault, l'entreprise a porté plainte contre X ce jour (jeudi) pour des faits constitutifs d'espionnage industriel, de corruption, d'abus de confiance, de vol et recel, commis en bande organisée", a annoncé le groupe dans un communiqué.
"Cette plainte fait suite à la découverte d'agissements graves, portant préjudice à l'entreprise, en particulier sur ses actifs stratégiques, technologiques et intellectuels", a-t-il précisé.
Renault soupçonne trois des cadres de haut rang d'avoir diffusé à l'extérieur des informations sensibles liées à ses actifs stratégiques, intellectuels et technologiques, ce que tous trois nient en bloc.
L'affaire concerne le projet phare de véhicule électrique de Renault, un enjeu colossal pour le groupe qui a investi dans ce programme 4 milliards d'euros avec son allié japonais Nissan.
Selon le procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin, la plainte vise la "fourniture d'éléments intéressant le secret économique français à une puissance étrangère". Il a précisé que Renault ne citait que des "personnes morales de droit privé". Selon lui, il s'agit d'"une affaire complexe qui nécessitera des investigations internationales".
La plainte va permettre de saisir officiellement la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), dont les enquêteurs travaillent déjà sur le dossier par le biais de sa "sous-direction de la protection économique".
De nombreuses zones d'ombre pèsent sur l'affaire, au premier rang desquels la "piste chinoise", privilégiée par le contre-espionnage et le groupe, selon la presse et les spécialistes de l'intelligence économique.
Ni Renault, ni l'Etat français, encore actionnaire à 15%, n'ont confirmé cette piste.
La ministre française de l'Economie Christine Lagarde a redit jeudi qu'il n'y avait "aucune raison d'incriminer tel ou tel pays, telle ou telle filière d'espionnage industriel". Deux jours plus tôt, la Chine avait dénoncé des accusations "totalement sans fondement, irresponsables et inacceptables".
Renault a souligné jeudi qu'il "ne participera d'aucunes surenchères polémiques et réservera exclusivement les éléments en sa possession aux services compétents chargés de l'enquête".
Les trois cadres incriminés par le constructeur, Michel Balthazard, membre du comité de direction de Renault, un de ses adjoints, Bertrand Rochette, responsable des avant-projets, et Matthieu Tenenbaum, directeur de programme adjoint du véhicule électrique, ont été mis à pied le 3 janvier.
Ils ont été reçus mardi pour un entretien préalable en vue de leur éventuel licenciement, pour lequel Renault doit respecter un délai de deux jours ouvrables avant de le leur signifier.
Cette affaire d'espionnage semble avoir pris de court le gouvernement français, qui n'aurait pas été tenu informé par Renault alors que le groupe enquêtait en interne depuis août 2010.
Selon Le Canard Enchaîné, le ministre de l’Industrie, Eric Besson, aurait piqué une colère car il n'en aurait été informé qu’après une visite chez Renault le 4 janvier.
L'enquête judiciaire devrait enfin aider à comprendre comment le constructeur a découvert les faits.
Me Thibault de Montbrial, l'avocat de Matthieu Tenenbaum, a déclaré mardi que son client était accusé sur "la base d'une lettre anonyme" qui "indiquerait, au conditionnel, de façon indirecte et implicite, qu'il aurait reçu des pots de vin et commis des actes contraires à l'éthique".