Le groupe Renault et les services secrets français soupçonnent les trois cadres incriminés dans l’affaire d’espionnage d’avoir vendu des informations sensibles sur la voiture électrique à un acteur chinois.
Nouveau rebondissement dans l’affaire d’espionnage industriel qui touche le géant automobile Renault. Selon le Figaro, qui cite des sources internes à l’entreprise, les trois cadres soupçonnés d’avoir divulgué des informations sensibles sur la voiture électrique pourraient avoir vendu des brevets non encore déposés à un destinataire chinois. Une piste corroborée par la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) qui vient d’être chargée par l’Élysée d’enquêter.
"Si cette piste se confirme, il faudra probablement s’inquiéter", explique Éric Delbecque*, chef du département de sécurité économique de l’INHESJ (Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice), contacté par France24.com. "Cela signifie que l’espionnage industriel va irrémédiablement se multiplier dans les années à venir. La technologie verte est un enjeu incontournable pour tous et surtout pour la Chine qui s’intéresse particulièrement au secteur automobile, ajoute-t-il. Un tel marché peut susciter de tels agissements".
En 2007 déjà, une étudiante chinoise en stage chez Valéo avait été condamnée à un an de prison, dont deux mois ferme, pour s'être procurée des documents confidentiels de l'équipementier automobile.
Un secret industriel qui vaut de l’or
L’affaire est donc électrique. La marque au losange se refuse pour le moment à livrer de plus amples détails mais compte porter plainte. "Sur un plan juridique, nous sommes en train d'étudier toutes les options qui conduiront inévitablement à un dépôt de plainte", a déclaré, jeudi, Christian Husson, directeur juridique du constructeur.
Les premiers modèles font actuellement leur apparition sur le marché. La Nissan Leaf, a été lancée en décembre, et la berline familiale Fluence ainsi que l'utilitaire Kangoo Express sont attendues à la mi-2011. Renault travaille également au lancement de deux autres modèles électriques inédits : Twizy, un petit véhicule urbain deux places et surtout la Zoé, une petite berline cinq places, qui doivent être respectivement commercialisés au deuxième semestre de cette année et à la mi-2012.
Les trois cadres, dont l’un siégeait au sein du comité de direction, sont suspectés d’avoir divulgué un programme dans lequel le groupe français et son allié japonais Nissan ont investi près de 4 milliards d’euros, espérant devenir ainsi les leaders mondiaux du secteur.
Une fois l'affaire révélée, Nissan a vu rouge et l’un des responsables de la marque japonaise n’a pas hésité à s’en prendre au groupe de Carlos Ghosn. "Quelles que soient les fuites, elles concernent notre technologie et non celle de Renault", a-t-il déclaré dans le Wall Street Journal. "Nissan est à la pointe des recherches dans le domaine des voitures électriques".
L’enjeu est énorme pour les deux géants qui ont placé la voiture verte au cœur de leur stratégie pour les années à venir. "Cette technologie qui permet de ramener à zéro les émissions de CO2 est l'une des cibles de choix pour la chasse aux informations stratégiques dans un milieu archi-concurentiel. Un secret industriel peut valoir de l’or", explique l’expert en intelligence économique.
"Guerre économique"
Renault est très bien positionné sur le marché automobile par rapport à ses rivaux. "Dérober ses informations pourrait donc lui faire perdre des années de recherche, voire lui faire perdre tout un marché sans parler des répercussions dans le domaine de l’emploi", s’inquiète Éric Delbecque qui refuse toutefois de mettre de l’huile sur le feu. "Pour le moment, on ne connaît toujours pas la nature des informations volées".
L’affaire a pris une importance capitale au plus haut sommet de l’État. "L’intelligence économique est l’un des sujets majeurs de la décennie à venir", a déclaré jeudi Éric Besson, à l’AFP. Le ministre de l’Industrie, qui s’alarme de la gravité des faits, n’a pas hésité à parler de "guerre économique" et a assuré avoir demandé "à Bercy que l’État renforce les obligations pour les entreprises qui demandent de l’argent public".
La protection de la connaissance industrielle fait actuellement l’objet d’une proposition de loi qui sera discutée la semaine prochaine. Elle devrait prévoir des sanctions contre le fait ou la tentative "de s’approprier, de conserver, de reproduire ou de porter à la connaissance d’un tiers non autorisé une information à caractère économique protégée".
*Eric Delbecque vient de publier La guerre économique, collection Que sais-je, PUF