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Un rapport du Conseil de l’Europe accuse l’UCK d'être mêlé à un trafic d’organes

Un rapport du Conseil de l'Europe accuse d'anciens responsables de l'Armée de libération du Kosovo (UCK) d'être impliqués dans un vaste trafic d'organes prélevés sur des prisonniers serbes en 1999 et 2000. Pristina dément.

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"C'EST UN RAPPORT FRACASSANT"

À partir de l’été 1998, dans des prisons secrètes situées quelque part au Nord de l’Albanie, des prisonniers, hommes et femmes, serbes pour la plupart, ont été assassinés avant d’être dépouillés de leurs organes pour être ensuite revendus à l’étranger. Cette macabre affaire, qui fait l’effet d’une bombe dans les Balkans, est l’objet d’un rapport du Conseil de l’Europe, rendu public mardi à Strasbourg. L’auteur de l’enquête, le sénateur suisse Dick Marty, s’était déjà illustré pour son rôle dans la dénonciation des prisons de la CIA sur le territoire européen en 2006.

Ce trafic d’organes, que Dick Marty impute aux membres de l'Armée de libération du Kosovo (UCK), le mouvement indépendantiste kosovar créé en 1996, met en cause deux figures politiques kosovares notoires : Agim Ceku, Premier ministre du Kosovo de mars 2006 à janvier 2008, et Hashim Thaçi, actuel Premier ministre, dont le parti vient de remporter les législatives, selon des résultats préliminaires.

Des faits connus dès 2008

En 2008 déjà, Carla del Ponte, l’ancien procureur du Tribunal pénal international pour la Yougoslavie (TPIY), avait dénoncé ce commerce illicite dans son livre, "La traque, les criminels de guerre et moi", publié près de dix ans après la fin de la guerre au Kosovo. La magistrate, qui avait alors défrayé la chronique, avait relaté les exactions commises par l'Armée de libération du Kosovo. A l’époque, des enquêteurs du TPIY s'étaient rendus sur les lieux où, en 2003, se seraient déroulés ces crimes et avaient trouvé "des traces de sang (...) une seringue, et des flacons vides de médicaments". Ces affirmations n’avaient pourtant fait l’objet d’aucune suite.

Un laxisme que dénonce aujourd’hui Dick Marty, dans son rapport : "Les organisations internationales en place au Kosovo ont privilégié une approche politique pragmatique, estimant devoir favoriser à tout prix la stabilité à court terme et sacrifiant ainsi d’importants principes de justice. […] Il n’est plus possible aujourd’hui de faire l’impasse sur des actes d’une gravité exceptionnelle qui se sont passés au cœur de l’Europe", écrit-il.

Reconstitution d'un commerce macabre

A l’aide de témoignages clés d’anciens combattants des factions armées, des victimes directes des actes de violence de la guerre et des membres des familles des personnes disparues, Dick Marty a retracé le parcours de ce macabre commerce. De 1999 à 2000, alors que le conflit a pris fin en juin 1999, des membres de l’UCK – regroupé sous l’appellation "Groupe de Drenica" - auraient placé en détention un "grand nombre de personnes enlevées". Ces prisonniers auraient été conduits en Albanie puis abattus d’une balle dans la tête. Leurs corps auraient ensuite été rapidement transportés dans un laboratoire clandestin très moderne situé à Fushë-Krujë. D’après le rapport, cette "clinique" aurait été choisie à cause de sa proximité avec l’aéroport de Tirana afin de permettre aux visiteurs internationaux de venir récupérer les organes.

Les futures victimes arrivaient, entassées dans des fourgonnettes, les mains liées derrière le dos. Selon les témoignages des chauffeurs cités dans le rapport, les victimes y souffraient considérablement à cause du manque d’air. Souvent conscients de ce qui les attendait, beaucoup imploraient leurs bourreaux de ne pas les "découper en morceaux".

Parmi les membres de ce réseau criminel, le rapport identifie une figure historique de l'UCK, Shaip Muja. Ce chirurgien de formation est actuellement conseiller politique principal auprès du cabinet du Premier ministre du Kosovo, en charge notamment de la Santé. 

Quand mafia et politiques agissent main dans la main 

Dans son rapport de 27 pages, Dick Marty ne se contente pas de relater la gravité et l’horreur des exactions. Il met également en lumière le sombre rapport qu’il existait entre la classe politique et le crime organisé avant que la Force de maintien de la paix au Kosovo (KFOR) ne parvienne à exercer son contrôle sur tout le territoire dès le mois de juin 1999. "C’était le chaos", affirme-t-il. "C’est donc bien l’UCK qui exerçait alors le contrôle de la région."

C’est ainsi que Dick Marty explique que la mafia ait pu pénétrer aussi facilement les institutions. Hashim Thaçi, actuel Premier ministre et personnage clé de l’enquête "aurait agi avec l’appui des services secrets et de la redoutable mafia albanaise", écrit le sénateur. Il aurait contrôlé dès 1998 le commerce de l’héroïne et d’autres narcotiques. Tout cela dans l’indifférence des forces internationales qui "ont collaboré avec les maîtres des lieux et ont, de fait, couvert les membres de l’UCK", ajoute-t-il.

Le gouvernement kosovar a estimé, via un communiqué officiel obtenu par l’AFP, que le rapport se fondait sur "des faits sans fondement, inventés avec pour objectif de nuire à l'image du Kosovo. […] Une telle attitude, haineuse et étrange, par des personnes dénuées de crédibilité morale, ne peut être qu'au service de certains milieux qui veulent du mal au Kosovo et à ses citoyens."

Le rapport de Dick Marty doit être discuté jeudi en commission du Conseil de l'Europe. S'il est adopté, il sera présenté fin janvier devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE).