Le cinéaste français Jean-Luc Godard ne se rendra pas à la cérémonie des Governors Awards, ce samedi à Los Angeles. Sa distinction ravive en tout cas les polémiques sur ses prises de positions parfois jugées antisémites outre-Atlantique.
"Après deux mois d'un cordial échange épistolaire avec Tom Sherak, le président de l'Académie, Jean-Luc Godard a indiqué avec regrets qu'il ne pourrait pas assister à la cérémonie des Governors Awards le 13 novembre pour recevoir sa statuette en personne." Le communiqué de l'Académie des arts et des sciences du cinéma, publié le 25 octobre dernier, est laconique. Son contenu, un secret de polichinelle. Fin octobre, après plusieurs semaines de tergiversations, Jean-Luc Godard, réalisateur emblématique de la Nouvelle Vague, avait décidé de bouder la cérémonie à laquelle il était convié pour y recevoir un "Oscar d’honneur".
L’amour inconsidéré que Godard porte aux "cérémonies paillettes" est connu. Le réalisateur franco-suisse n’en est pas à son coup d’essai. En mai dernier, il avait déjà brillé par son absence au festival de Cannes malgré la présentation de son dernier long-métrage "Film socialisme".
Une attitude qui irrite certains chroniqueurs du milieu, à l’image de Franck Garbarz, critique au magazine Positif : "Tout ce cirque [de la cérémonie des Oscars] n’est pas du goût d’artistes tels que Godard, et de tous ces intellectuels français qui ont une idée un peu surannée de ce qu'est l'art. Mais quelle que soit votre opinion sur Hollywood, c'est toujours un honneur de recevoir ce genre de prix, et la moindre des choses est d'avoir la décence d'y aller."
Dissocier l'homme et le cinéaste
Outre-Atlantique, l’absence de Godard aux Governors Awards fait aussi jaser. Mais depuis que la décision de l’Académie de lui décerner un "Oscar d’honneur" a été rendue publique, une autre controverse, plus profonde, a refait surface.
Le 6 octobre dernier, peu après l’annonce, le Jewish Journal barrait sa une d’un titre pour le moins polémique : Jean-Luc Godard est-il antisémite ? En l’espace de quelques semaines, plusieurs grands titres de presse nord-américains lui ont fait écho. Le New York Times a repris l’affaire en détail dans son édition du 1er novembre, obligeant implicitement l’académie des Oscars à justifier son choix. Par communiqué, l’institution du Septième art avait statué sur le fait que "les accusations contre monsieur Godard n’étaient pas convaincantes".
Mais aux États-Unis, le débat est relancé. Pour la B’nai B’rith International, une organisation juive basée à Washington, l’académie des Oscars aurait prouvé par cette distinction qu’elle avait "certains standards pour l’art, mais pas pour la décence et la morale".
Les médias nord-américains, plus mesurés, ont globalement pris le parti de dissocier chez Godard l’homme et le cinéaste. Ainsi, le chroniqueur du Los Angeles Times, Patrick Goldstein, évoque sur son blog une discussion téléphonique avec le président de l’académie, Tom Sherak. Dans cette interview, Sherak rappelle que "traditionnellement, l’académie a toujours séparé l’aspect artistique et la vie privée des lauréats de ses prix", appuyant son argumentation sur les précédents Roman Polanski et Elia Kazan.
Vexé ?
Godard, dont la compagne Anne-Marie Mieville a justifié la défection par le fait qu’il "était trop vieux [79 ans] pour ce genre de chose", s’est bien gardé d’évoquer la polémique.
Interrogée en septembre dernier par le Sunday Times, Mieville raconte : "Il m’a simplement dit : ‘Ce ne sont pas les Oscars’. Au début, il pensait que sa distinction allait prendre place au cours de la même cérémonie, puis il a réalisé que c’était un événement séparé qui se tiendrait en novembre."
Godard vexé ? Pas le moins du monde, assure-t-elle : "Jean-Luc n’ira pas aux États-Unis. […] Iriez-vous aussi loin pour un simple bout de métal ?".
Francis Ford Coppola, Eli Wallach et Kevin Brownlow, également primés, seront eux de la partie. Le "bout de métal" décerné à Godard sera quant à lui envoyé au domicile suisse du réalisateur.