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À Paris, les chrétiens d'Irak prient leurs morts

À la veille de l'arrivée en France des premiers blessés de l'attaque d'une église à Bagdad le 31 octobre, une centaine d'Irakiens, réfugiés à Paris, se sont réunis, ce dimanche, afin de célébrer une messe en hommage aux 50 défunts.

"Pourquoi tant de sang chrétien versé ?  Pourquoi tant de chrétiens innocents massacrés ? Laissons l’Irak vivre en paix ". Les mots sont tracés à la main sur une toile posée en évidence devant l’autel de l’église parisienne Notre-Dame de Chaldée, où une messe spéciale a été célébrée, ce dimanche, en hommage aux 50 chrétiens décédés dans l’attentat de l'église Notre-Dame du Salut, à Bagdad, le dimanche 31 octobre.

Discrètement logée dans un immeuble du 18e arrondissement, Notre-Dame de Chaldée est pleine à craquer. Serrés les uns contre les autres, des femmes recouvertes d’un voile de prière et des pères de famille endimanchés écoutent le prêtre, Monseigneur Petrus Yousif, "célébrer les martyres de Jésus" et remercier "leur pays d’adoption", la France, "d’accueillir les blessés et leur famille". Mais lorsqu’il entame en araméen la prière pour les défunts, l’assemblée, qui réunit en cette occasion chaldéens, catholiques qui suivent le rite oriental, et autres chrétiens, s’effondre en larmes.  

Myriam* a le regard hagard. Ses yeux bleus transparents sont rougis par les larmes. Les mains crispées, elle tord son mouchoir avant de fondre à nouveau dans des sanglots incontrôlables. Le mari de sa sœur a été tué à Bagdad lors du dimanche sanglant.

"Mon beau-frère était orthodoxe, il n’était pas un habitué de l’église. Mais en rentrant chez lui, il a décidé de s’y arrêter pour prier. Il a appelé ma sœur Pascale* pour lui dire qu’il rentrerait juste après la messe. Il n’est jamais revenu", raconte-t-elle émue après la messe.

Myriam n’a désormais qu’un souhait : que sa sœur, à présent veuve avec deux enfants à charge, la rejoigne à Paris. Cela fait déjà deux ans qu’elle-même a quitté l’Irak, avec son mari et ses deux enfants. Après avoir subi multiples intimidations, elle n’a pas eu d’autres choix que le départ.

"Mon fils aîné avait reçu des menaces, se souvient-elle. Un jour, alors qu’il sortait de l’école, trois garçons en voiture l’ont suivi, l’ont frappé au visage et l’ont menacé de mort parce qu’il était chrétien. Sans parler de mon mari qui a vu un collègue, chrétien également, se faire enlever dans sa boutique par deux hommes armés qui l’ont mis dans un coffre. Il n’est jamais réapparu. "

Ayant obtenu le statut de réfugiés politiques, Myriam et sa famille sont pour l’instant prises en charge par les centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA). Hébergées dans un foyer à Evry, il leur reste encore un an avant de devoir trouver leur propre appartement. Sans emploi et ne parlant pas français, la tâche s’avère ardue. Pourtant, malgré les difficultés d’intégration, il est inenvisageable pour eux de retourner en Irak.

Depuis la chute de Saddam Hussein, les chrétiens sont pris pour cible

Depuis l'invasion de l'Irak sous commandement américain en 2003 et la fin du régime de Saddam Hussein, les chrétiens ont été la cible de violences attribuées principalement aux extrémistes islamiques, y compris Al-Qaïda en Irak ou à des gangs criminels.

Des églises et écoles de Bagdad, des villes comme Mossoul et Kirkuk sont victimes d’attaques régulières. D’après un rapport de l’UNHCR, 40 églises ou couvents en Irak ont été la cible d'attentats à la bombe ou d'attaques, entre le 26 juin 2004 et le 4 juin 2007.

"Les attentats terrorisent la population et pas seulement les chrétiens, explique Elish Yako, secrétaire général de l’Association d’entraide aux minorités d’Orient. Trois millions d’Irakiens vivent aujourd’hui à l’étranger, dont 5% de chrétiens. Les Américains ont cassé le pays. Aujourd’hui, il y a une liberté de façade mais les Irakiens ont tout perdu. Ils n’ont plus d’eau, plus d’électricité. L’Irak est devenu comme la Somalie. "

Dans l'assemblée, ils sont nombreux à dire regretter le temps de Saddam Hussein. 

La seule alternative : partir

Comme Myriam, ils sont des milliers de chrétiens irakiens à avoir quitté le pays pour demander l’asile politique. En France, ils sont plus de 1300. À l’automne 2007, Nicolas Sarkozy avait lancé un programme d’accueil pour les Irakiens appartenant à "des minorités religieuses vulnérables".  À la suite de l’attaque du 31 octobre, Éric Besson, ministre de l’Immigration et de l’Intégration, a annoncé que 150 personnes supplémentaires seraient accueillies sur le territoire.

D’après les associations, 37 blessés, dont 14 graves, ainsi que des accompagnateurs proches, sont attendus, ce lundi soir, à l’aéroport d’Orly. Les blessés doivent être immédiatement pris en charge dans une dizaine d’hôpitaux parisiens, tandis que les autres seront redirigés vers le centre d’accueil de Créteil.

Si la priorité est accordée aux blessés de l’attentat ainsi qu’à leur famille, les critères de sélection restent flous. Dans l’angoisse, Myriam attend de savoir si sa sœur et ses nièces feront partie des 150 élus.

* Les prénoms ont été modifiés par souci d'anonymat.

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