Dimanche en milieu de journée, alors que les Birmans votaient pour la première fois depuis 20 ans, une milice karen a opéré un raid surprise sur une ville à la frontière thaïlandaise, faisant flotter le spectre d’une nouvelle guerre civile.
Alors que quelque 29 millions de Birmans se rendaient aux urnes dimanche pour la première fois depuis vingt ans pour un scrutin sans surprise, une milice de l’ethnie karen a pris le contrôle d’une importante ville, Myawaddy, dans l’Est du pays, à la frontière avec la Thaïlande.
Le chef de guerre de la milice karen DKBA, Na Kha Mew, a mené en milieu de journée un raid surprise sur la ville de Myawaddy, un important poste-frontière proche de la Thaïlande situé à l’extrême est de l’ancienne capitale birmane Rangoun.
"Deux explosions ont retenti dans la matinée dans la ville", rapporte Cyril Payen, correspondant de France 24 à Bangkok. "Il y a eu quelques échanges de tirs entre la DKBA et l’armée birmane".
L’armée et la police birmane, pourtant mobilisées en masse dans la région depuis des semaines, auraient pris la fuite à l’approche de la milice. Le régime birman aurait décrété l’état d’urgence sur l'ensemble du territoire pour une durée de 90 jours.
Une rumeur, selon laquelle des soldats birmans forçaient par les armes des habitants de la région à se rendre aux urnes, a mis le feu aux poudres. "Cette rumeur, c’est l’étincelle que Na Kha Mew attendait pour prendre les armes", affirme Cyril Payen.
La précédente élection – en 1990 – avait été remportée par la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la paix, qui n'a jamais pu prendre le pouvoir et qui reste aujourd'hui en résidence surveillée. Les résultats de cette élection qui est "tout sauf libre et juste", selon l’expression de Barak Obama devraient être connus dans la semaine.
La junte entend assujettir les seigneurs de guerre
it
La question ethnique était l’un de grands enjeux de l’élection de dimanche. Une nouvelle Constitution, votée en 2008 et qui entre en vigueur lundi. Elle prévoit également le désarmement des milices ethniques et leur incorporation à l’armée birmane. Depuis quinze ans, ces groupes s’étaient ralliés à la junte. En échange, elle leur octroyait une large autonomie, et la jouissance des revenus du trafic de drogue.
"En vertu de cette nouvelle Constitution, les chefs de guerre et leurs armées perdront leurs autonomies, leurs uniformes, une grande partie de leurs armes et, évidemment, la jouissance des trafics divers, explique Cyril Payen. La junte veut les transformer en garde-frontière".
Fin octobre, le journaliste avait passé clandestinement la frontière birmane pour y rencontrer Na Kha Mew. Les propos du chef karen ne laissaient aucune ambiguïté sur l’imminence d’un conflit. "Il n’y a plus de cessez-le-feu, il n’y a plus de paix, déclarait-il au micro de Cyril Payen. Toutes les minorités ethniques vont s’allier et nous allons vaincre la junte militaire qui nous a trahie". Quelques jours plus tard, lors d’une réunion secrète le long de la frontière, les différents chefs des minorités ethniques se sont mis d’accord pour combattre la junte et les dispositions prévues dans la nouvelle Constitution.
Imminence d’un conflit
"Se mettre à dos les seigneurs de guerre paraît complètement fou, commente Cyril Payen. Ces milices représentent des milliers d’hommes lourdement armés". Les Was représentent une force de 25 000 à 30 000 hommes très bien équipés, auxquels s’ajoutent les 8 000 hommes de l’ethnie Kachin ainsi que plusieurs autres petits groupes, forts de 2 000, 3 000 ou 4 000 hommes.
"C’est une erreur de calcul de la part de la junte", estime pour sa part Isabelle Dubuis, coordinatrice de l’association Info Birmanie. "La question des minorités ethniques n’a pas été bien prise en compte. (…) Il existe un vrai risque d’instabilité et de reprise du conflit dans des régions stratégiques pour le pouvoir central. C’est là qu’est géré le commerce frontalier avec la Chine et la Thaïlande".
En cas de conflit, les conséquences humanitaires s’avèreraient désastreuses. L’été 2009 a donné un avant-goût du drame humanitaire que pourrait engendrer un tel conflit. Au nord-est de la Birmanie, à la frontière avec la Chine, 35 000 civils avaient alors fui un conflit qui avait brièvement opposé l’ethnie Kokang avec l’armée régulière birmane… pour les mêmes raisons qui poussent aujourd’hui les chefs de guerre à reprendre les armes.