La soprano australienne est décédée dimanche à l'âge de 83 ans en Suisse. Surnommée "la stupéfiante" en raison de ses extraordinaires interprétations du répertoire bel canto, la diva laisse derrière elle 40 enregistrements d'opéra chez Decca.
La diva australienne Joan Sutherland, âgée de 83 ans, est décédée dimanche à son domicile suisse des suites d'une longue maladie, a annoncé sa famille et la maison de disque Decca. La "Stupenda" (la "magnifique" ou la "stupéfiante"), comme elle était surnommée, a brillé sur les scènes lyriques durant quatre décennies, une longévité exemplaire dans ce métier. Sa dernière apparition sur scène remonte au 31 décembre 1989, lorsqu’elle a interprété "La Chauve-souris" de Johann Strauss aux côtés de Luciano Pavarotti au Royal Opera House de Londres.
Dotée d’une tessiture incroyablement étendue, capable d’aigus souples et coloratures, mais aussi de sons mordants et dramatiques, elle était devenue une légende dans le petit monde de l’art lyrique. Son répertoire de prédilection : les œuvres de Bellini et de Donizetti", le bel canto par excellence.
Née à Sydney en 1926, la légende dit que dès 5 ou 6 ans elle souhaitait devenir chanteuse professionnelle. Sa mère, elle-même mezzo-soprano, l’a initiée aux secrets du chant lyrique. Sa décision d’en faire sa profession est réellement prise à 19 ans.
Eva, Agathe, Desdemona...
Quatre ans plus tard, la jeune soprano remporte l'un des plus prestigieux concours australiens de chant, le "Sun Aria". Sa carrière internationale prend forme après être passée dans les classes de l'École d'opéra du Royal College of Music à Londres. Ses débuts à Covent Garden se font dans le rôle de la Première Dame de "La Flûte enchantée" de Mozart. Elle s’exerce ensuite dans des rôles colorature et dramatique, pouvant déployer une voix large de Mozart à Wagner : elle chante Eva ("Les Maîtres-Chanteurs" de Wagner), Agathe ("Le Freischütz" de Weber), Desdemona ("Otello" de Verdi), Gilda ("Rigoletto" de Verdi), et Donna Anna ("Don Giovanni" de Mozart).
Sa carrière prend un nouveau tournant lorsqu’elle s’attaque au rôle de Lucia di Lammermoor de Donizetti. En 1959, sous la direction de Tullio Serafin, et sur une mise en scène de Franco Zefirelli, elle stupéfie les spectateurs du Covent Garden dans la scène de la folie. Paris l'accueille dans le même rôle en 1960, puis la Scala (Milan) et le Metropolitan Opera (New York), en 1961. Sutherland devient alors une diva internationale.
Son secret : avoir écouté les conseils du chef d'orchestre et pianiste Richard Bonynge, qu’elle a épousé en 1954. Il lui a soufflé l’idée de s’établir dans le répertoire du bel canto italien, celui de Maria Callas et de Renata Tebaldi : les opéras de Bellini, Donizetti et de Verdi, qui mettent en valeur sa vertigineuse aisance dans le registre suraigu, ainsi que sa capacité à rendre les accents tragiques de la partition.
Son legato (capacité à lier les notes dans une phrase musicale) est renversant, ses aigus stratosphériques, sa technique sans faille. C’est l’époque où elle aborde Violetta Valéry ("La Traviata" de Verdi), Marie ("La Fille du régiment" de Donizetti), Amina ("La Somnambula" de Bellini) et Elvira ("Les Puritains" de Bellini). La cantatrice australienne est également capable de briller dans la très difficile partition d’"Alcina" de Haendel, notamment lors d'une représentation à la Fenice de Venise, en 1960. C’est cette année-là qu’elle grave les grands airs d’opéra chez Decca, "The Art of The Prima Donna", qui reste dans les annales du chant lyrique comme l’un des disques les plus célébrés par la critique.
Par la suite, elle se fait remarquer dans les rôles sombres, parfois violents, du répertoire bel canto ou vériste, d’autant que sa voix, quoique toujours lisse et travaillée à l'extrême, se corse dans les graves à partir des années 1970 : elle chante "Turandot" de Puccini, ainsi que "Maria Stuarda" et "Lucrezia Borgia" de Donizetti. Mais deux défauts lui sont souvent reprochés, par comparaison avec Maria Callas : elle pâtit d’une prononciation parfois brouillonne, et surtout, son jeu scénique est limité.
La reconnaissance de son art lui vaut tout de même d’être anoblie en 1979 par la reine d'Angleterre. Dans les années 1980, alors que la voix n’est plus aussi éclatante qu’à ses débuts, "Dame" Joan Sutherland aborde d’autres personnages et de nouvelles partitions : "Anna Bolena" de Donizetti et le rôle d’Amelia dans "I Masnadieri" de Verdi. Elle s’était retirée de la scène en 1989, après plusieurs récitals en compagnie de Luciano Pavarotti, qui la considérait comme "certainement la plus grande voix du siècle".
Les obsèques de la diva se dérouleront "dans l'intimité", a fait savoir la famille de Joan Sutherland.